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Le Code Civil & le fonds de prévoyance (mythes, droits et obligations)

Écrit par Me Sébastien Fiset , LL.B., B.A.A.
Mardi, 16 Février 2010 14:05

LE FONDS DE PRÉVOYANCE DÉMYSTIFIÉ

Contacter l’auteur :  s.fiset@fisetlegal.com

Il ne viendrait à l’idée de personne d’acheter un véhicule neuf, de rouler tous les jours avec et de vouloir le revendre après trois ou quatre ans, au même prix voire plus cher.

Il ne viendrait pas non plus à l’idée de quelqu’un possédant une maison unifamiliale de ne pas planifier le remplacement et les réparations majeures des composantes de celle-ci, faute de budget ou simplement pour économiser cette dépense.

Ceci en tête, nous relatons ci-dessous quelques mythes relatifs au fonds de prévoyance que nous avons recensés dans le cadre de l’exercice de notre métier respectif. Nous établissons par la suite les obligations du syndicat quant au fonds de prévoyance.

Les mythes

« Le fonds de prévoyance appartient aux copropriétaires ».

FAUX. Patrimoine généralement le plus important d’un syndicat de copropriétaires, le fonds de prévoyance n’appartient pas aux copropriétaires. En effet, aux termes du Code civil du Québec, ce fonds est la propriété exclusive du syndicat[1].

« Les parties communes, auxquelles est affecté le fonds de prévoyance, appartiennent au syndicat ».

FAUX. Contrairement au fonds de prévoyance, les parties des bâtiments et des terrains qui sont établies comme étant des parties communes sont la propriété de tous les copropriétaires[2]. Elles n’appartiennent donc pas au syndicat.

Pour déterminer la nature exacte des parties communes et privatives d’une copropriété, l’on se référera à l’acte constitutif, à l’état descriptif des fractions de la déclaration de copropriété ainsi qu’aux plans cadastraux de l’immeuble. En cas de silence de la déclaration de copropriété, le Code civil du Québec y pallie toutefois en prévoyant que certaines parties de l’immeuble seront alors présumées parties communes[3].

« Le fonds de prévoyance sert pour toutes les dépenses importantes ».

FAUX. Le fonds de prévoyance ne doit pas être utilisé pour éponger les dépenses pécuniaires importantes qui pourraient survenir.

Il ne sert pas davantage à payer des dépenses imprévues, le gérant d’immeuble ou les honoraires de professionnels (architectes, ingénieurs, notaires, avocats, etc.) engagées à d’autres fins que celles de voir aux « réparations majeures » ou aux « remplacements » des parties communes de la copropriété.

En effet, ce n’est pas l’importance objective, le caractère extraordinaire ou le coût d’une intervention sur l’immeuble qui détermine si la somme relève du fonds de prévoyance, mais la nature intrinsèque de la dépense qui se qualifie à titre deremplacement ou réparation majeure d’une « partie commune ».

« Les budgets du fonds de prévoyance doivent être approuvés par l’assemblée des copropriétaires ».

FAUX. Aux termes du Code civil du Québec, la collectivité des copropriétaires constitue, dès la publication de la déclaration de copropriété, une personne morale qui a notamment[4] pour objet la conservation de l’immeuble, l’entretien et l’administration des parties communes, la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble ou à la copropriété, ainsi que toutes les opérations d’intérêt commun.

Selon les stipulations de certaines déclarations de copropriété, l’« approbation » de l’assemblée des copropriétaires serait requise pour déterminer les contributions au fonds de prévoyance et aux charges communes.

Or, depuis l’avènement du nouveau Code civil du Québec en 1994, nous sommes d’opinion que le législateur a distinctement et impérativement octroyé cette compétence au conseil d’administration du syndicat.

En effet, aux termes de la loi[5], c’est le conseil d’administration et non pas l’assemblée qui fixe, après « consultation » de l’assemblée des copropriétaires, la contribution des copropriétaires à verser au fonds de prévoyance et aux charges communes[6]. Une telle « consultation » n’est pas un acte décisionnel[7].

En outre, le conseil d’administration est un organe décisionnel dont les membres, les administrateurs, sont clairement identifiables et dont les décisions de réunions figurent sur des procès-verbaux sur lesquels les dissidences des administrateurs doivent être inscrites[8]. Ceci n’est pas le cas en ce qui concerne les copropriétaires présents ou représentés en assemblée.

Les administrateurs sont personnellement imputables de la pérennité de l’immeuble. Ils ne peuvent être soumis aux volontés subjectives de copropriétaires qui, changeant de façon périodique au cours de la vie de l’immeuble, ont souvent pour priorité de minimiser leurs contributions aux charges communes et dont la responsabilité et l’intention individuelles peuvent difficilement être établies. Cela mènerait à l’impasse.

Dans la mesure où une assemblée des copropriétaires voudrait dérouter le syndicat de sa mission, il n’en tient qu’à elle d’élire des administrateurs qui engageront leur responsabilité personnelle sur cette voie.

Toutefois, en attendant une jurisprudence ferme[9] de la Cour, si une déclaration de copropriété prévoit formellement l’approbation de ses budgets par l’assemblée des copropriétaires, le conseil d’administration du syndicat aurait par prudence intérêt à continuer à les faire approuver.

« Le montant à cumuler par le syndicat dans le fonds de prévoyance est obligatoirement de 5 % du budget annuel ».

FAUX. C’est un autre mythe souvent entendu dans les couloirs raisonnants des copropriétés. Il est faux de croire qu’à priori, un syndicat de copropriété peut se contenter d’accumuler 5% des contributions annuelles au fonds de prévoyance pour remplir son obligation légale.

Ce pourcentage est en effet un minimum. Dépendant du type d’immeuble et des réparations majeures et des remplacements des parties communes à prévoir, la contribution au fonds de prévoyance pourrait théoriquement être même plus importante que la contribution des copropriétaires aux charges communes charges résultant de la copropriété et de l’exploitation de l’immeuble.

Les obligations du Syndicat

Dès sa création, le syndicat a en effet le devoir[10] d’établir et de cumuler, en une progression proportionnelle à l’usure des composantes des parties communes de la copropriété, un fonds de prévoyance affecté uniquement aux réparations majeures et au coût de remplacement des parties communes. Les sommes de ce fonds de prévoyance doivent être liquides et disponibles à court terme.

Dans l’établissement de la contribution des copropriétaires au fonds de prévoyance, le Code civil de Québec prévoit qu’il peut être tenu compte des droits respectifs des copropriétaires sur les parties communes à usage restreint. Cette dernière option s’avère par contre très périlleuse en raison de la difficulté même de son établissement.

En raison de ce qui précède, la constitution d’un fonds de prévoyance ne devrait pas non plus être laissée à la détermination d’un administrateur profane ou à tâtons. Comme chacune des composantes des parties communes de la copropriété possède sa propre durée de vie utile, aux termes de laquelle elle ne sera plus fonctionnelle et devra être remplacée, la détermination d’un fonds de prévoyance devrait au contraire être confiée à l’intervention conjointe d’experts émanant tant du domaine de la construction que du domaine de la gestion. Il serait également judicieux pour le syndicat de maintenir dans le registre de sa copropriété un carnet d’entretien, préparé par de tels experts, évaluant l’ensemble des durées de vie intrinsèques de chacune desdites composantes des parties communes.

La constitution d’un fonds de prévoyance n’est pas anecdotique. Elle ne doit pas non plus être subordonnée aux caprices ou aux priorités subjectives ni être freinée par des considérations budgétaires du syndicat et/ou des copropriétaires. L’administrateur qui agit autrement prête le flanc à des poursuites personnelles pour ne pas avoir agi de façon prudente et diligente dans l’accomplissement de ses fonctions.

Telle la fable de la cigale et la fourmi, en matière de copropriété divise, il n’est pas loisible de chanter durant tout l’été sans se soucier des obligations relatives au fonds de prévoyance. Car, la bise venue, il faudra payer, avec intérêts… S’il n’est pas trop tard.

L’information fournie sur cette page est de nature générale et ne saurait pallier le besoin d’obtenir des conseils juridiques propres à une situation particulière.


[1] Article 1071 du Code civil du Québec.

[2] Article 1043 du Code civil du Québec.

[3] Aux termes de l’article 1044 du Code civil du Québec, sont présumées parties communes le sol, les cours, balcons, parcs et jardins, les voies d’accès, les escaliers et ascenseurs, les passages et corridors, les locaux des services communs, de stationnement et d’entreposage, les caves, le gros œuvre des bâtiments, les équipements et les appareils communs, tels les systèmes centraux de chauffage et de climatisation et les canalisations, y compris celles qui traversent les parties privatives.

[4] Voir notamment les articles 321, 322, 335, 337, 1039 et 1077 du Code civil du Québec.

[5] Article 1072 du Code civil du Québec.

[6] Marsolais c. 906 Saint-Louis (Syndicat de la copropriété), C.S. Terrebonne, 700-17-003241-063, j. Benoît Emery (requête en irrecevabilité accueillie).

[7] Voir notamment : Syndicat de la copropriété 4478 Laval c. Hurtubise, B.E. 2002-545(C.Q.), Gagnon, C., La copropriété divise, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2007, pages 367 à 369, R. Comtois, Le droit de la copropriété selon le Code civil du Québec, (1994) 96 R. du N., pp. 446-447.

[8] Article 337 du Code civil du Québec.

[9] Article 985 du Code de procédure civile.

[10] Articles 1071 et 1072 du Code civil du Québec.

Mise à jour le Samedi, 16 Août 2014 17:46

Me Sébastien Fiset
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