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Les sinistres en copropriété (1ère partie)

Par Me Gérald Denoncin

LES DÉFIS DONT ON PARLE PEU…

Le 13 décembre 2018 entraient en vigueur des articles de la Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières communément appelée la Loi 141, en référence au numéro de projet. Parmi ceux-ci, les nouveaux articles 1074.1 et 1074.2 du Code civil du Québec (ci-après le « CCQ »). Ces articles soulèvent un certain émoi, pour ne pas dire un émoi certain, au sein des copropriétés divises, de leur administration et gestion. En effet, ils sont de nature à alourdir le fardeau d’un syndicat de copropriété dans le processus de recouvrement des sommes engagées pour les franchises et réparations du préjudice occasionné aux biens dans lesquels celui-ci à un intérêt assurable, en plus d’en limiter le montant recouvrable et la portée. 

Ces articles se lisent comme suit :

1074.1. Lorsque survient un sinistre mettant en jeu la garantie prévue par un contrat d’assurance de biens souscrit par le syndicat et que celui-ci décide de ne pas se prévaloir de cette assurance, il doit avec diligence voir à la réparation des dommages causés aux biens assurés. 

Le syndicat qui ne se prévaut pas d’une assurance ne peut poursuivre les personnes suivantes pour les dommages pour lesquels, autrement, il aurait été indemnisé par cette assurance :

  1. un copropriétaire ; 
    1. une personne qui fait partie de la maison d’un copropriétaire ; 
    1. une personne à l’égard de laquelle le syndicat est tenu de souscrire une assurance en couvrant la responsabilité. 

1074.2. Les sommes engagées par le syndicat pour le paiement des franchises et la réparation du préjudice occasionné aux biens dans lesquels celui-ci a un intérêt assurable ne peuvent être recouvrées des copropriétaires autrement que par leur contribution aux charges communes, sous réserve des dommages-intérêts qu’il peut obtenir du copropriétaire tenu de réparer le préjudice causé par sa faute et, dans les cas prévus au présent code, le préjudice causé par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’il a sous sa garde. 

Est réputée non écrite toute stipulation qui déroge aux dispositions du premier alinéa[1].

En d’autres termes, le syndicat ne peut récupérer plus que le montant de la franchise applicable au sinistre qu’il ait ou non décidé de se prévaloir de son assurance. De plus, il doit prouver la faute du copropriétaire tenu de réparer le préjudice causé par celle-ci, ou le fait ou la faute d’une autre personne ou le fait des biens qu’il a sous sa garde, dans les cas prévus au Code civil du Québec. Se faisant, le législateur met fin aux clauses de responsabilité sans faute qui sont généralement présentes dans la grande majorité des déclarations de copropriété. Celles-ci sont désormais réputées non écrites.

Si, a priori, la gestion d’un sinistre en copropriété et le recouvrement des sommes engagées par le syndicat en conséquence semblent bien circonscrits par ces nouveaux articles, un acteur a toutefois été omis de l’équation, savoir le locataire. 

Ce constat génère des questions de fond en ce qui a trait aux droits du syndicat et de son assureur de recouvrer les sommes engagées à la suite d’un sinistre auprès d’un locataire dont la faute ou la négligence cause un dommage aux biens dans lesquels le syndicat à un intérêt assurable. Des questions de procédure relativement aux forums juridictionnels compétents, outre l’application de certaines clauses prévues dans grand nombre de déclarations de copropriété, méritent également une attention particulière. 

LE LOCATAIRE EST UN TIERS À L’ÉGARD DU SYNDICAT

Le syndicat qui ne se prévaut pas d’une assurance pour les dommages pour lesquels, autrement, il aurait été indemnisé par cette assurance, ne peut poursuivre les catégories de personnes visées à l’article 1074.1 CCQ pour recouvrer les sommes engagées pour la réparation de ces dommages. Cette interdiction s’applique en fait, peu importe que le syndicat décide ou non de se prévaloir d’une assurance. En d’autres termes, tout montant non couvert par l’assureur du syndicat, savoir la franchise applicable, constitue des sommes engagées par celui-ci pour le paiement de franchises ou de réparations du préjudice aux biens dans lesquels il a un intérêt assurance. Il ne peut en poursuivre le recouvrement auprès de ces personnes, sous réserve de ce qui est dit à l’article 1074.2 à propos d’un copropriétaire fautif ou présumé fautif. 

Le locataire, cependant, n’entre pas dans ces catégories de personnes. En effet, outre l’évidence qu’il n’est pas le copropriétaire, il n’est pas davantage une personne faisant partie de la maison d’un copropriétaire, laquelle se définit comme toute personne physique qui demeure habituellement sous le toit d’un copropriétaire, sans égard au sexe ou à l’état civil, à l’exclusion d’un locataire[2]. Il ne s’agit pas non plus d’une personne à l’égard de laquelle le syndicat est tenu de souscrire une assurance en couvrant la responsabilité, savoir les membres de son conseil d’administration, le gérant et les officiers d’assemblée et les autres personnes chargées de voir à son bon déroulement[3].

Plus encore, il n’est pas, dans les cas prévus au Code civil du Québec, une autre personne dont la faute ou le fait fautif permet au syndicat d’obtenir des dommages-intérêts d’un copropriétaire pour le préjudice causé par ceux-ci, savoir une personne visée aux articles 1457 et 1459 à 1464 CCQ :

  • Le mineur à l’égard de qui le copropriétaire exerce l’autorité parentale ou à l’égard duquel, sans être titulaire de l’autorité parentale, il s’est vu confier la garde, la surveillance ou l’éducation.
  • Le majeur non doué de raison dont il assume la garde, agissant comme tuteur, mandataire ou autrement.
  • Son préposé dans l’exécution de ses fonctions.

Avec respect pour l’opinion contraire, le syndicat ne peut, à notre avis, rechercher la réparation de son préjudice auprès d’un copropriétaire en raison de la faute de son locataire, pas même en raison d’une clause de la déclaration de copropriété, telle une clause de responsabilité solidaire, laquelle est réputée non écrite en vertu de l’article 1074.2 (2) CCQ. Nous y revenons ci-dessous.

Ajoutons, enfin, qu’au chapitre du louage, le locateur n’est pas tenu de réparer les dommages causés par son locataire à des tiers. Il l’est uniquement à l’égard des autres locataires, le cas échéant[4]. Or, le syndicat n’est pas un autre locataire[5].

Partant du postulat que le législateur ne parle pas pour ne rien dire, nul doute que s’il avait voulu également exclure le locataire d’un recours du syndicat à son égard, mention en aurait été faite dans la loi. Il n’en est rien.

Il s’ensuit que, le locataire étant un tiers[6] vis-à-vis du syndicat, et n’étant pas une des personnes à l’égard de laquelle une poursuite du syndicat est interdite légalement, ce dernier peut, sur une base extracontractuelle, recouvrer directement du locataire dont la faute ou la négligence a causé un préjudice, les sommes engagées pour réparer les biens dans lesquels le syndicat a un intérêt assurable. L’inverse aurait d’ailleurs pour conséquence un vide juridique exonérant le locataire des conséquences de sa faute ou sa négligence.

Plus encore, nous sommes d’opinion que le syndicat peut poursuivre le locataire pour son préjudice au-delà du montant de la franchise applicable s’il décide de ne pas se prévaloir de son assurance. Cette limite n’existe selon nous qu’en ce qui concerne les personnes visées à l’article 1074.1 CCQ dont, comme nous venons de l’expliquer, le locataire est exclu.

Dans ce contexte et pour les mêmes raisons, l’assureur du syndicat peut être également subrogé dans les droits du syndicat à l’égard du locataire, auteur du préjudice, jusqu’à concurrence des indemnités qu’il a payées[7].

Une problématique demeure toutefois en pratique. La loi n’impose pas au locataire, contrairement à un copropriétaire[8], de souscrire une assurance couvrant sa responsabilité civile. Le recouvrement des sommes engagées par le syndicat demeure, dans les faits, laborieux. Nous sommes d’opinion que le gouvernement devrait légiférer de manière à imposer l’obligation pour tout locataire de souscrire une telle assurance et à tout le moins lorsque le logement loué est compris dans une fraction de copropriété.

Nous aborderons dans un prochain texte, la mise en application et l’exercice procédural subtil, périlleux et alambiqué de recours impliquant le locataire en cette circonstance…


[1]     Il s’agit de l’article 1074.2 CCQ tel que modifié le 17 mars 2020. Sa première mouture limitait davantage la possibilité du Syndicat, en ce qui a trait aux dommages-intérêts qu’il peut obtenir du copropriétaire tenu de réparer, à la preuve de sa seule faute personnelle.

[2]     Yves Joli-Cœur, Dictionnaire québécois de la copropriété : 850 définitions, 2e édition, Wilson & Lafleur, 2023.

[3]     Art. 1073 (2) CCQ

[4]     Art. 1858 et 1859 CCQ

[5]     Syndicat des copropriétaires TOD 1 c. Xu, 25 mai 2022, QCCQ, 3694

[6]     Industrielle Alliance, Assurance auto et habitation inc. c. Whirlpool Canada, 7 juillet 2021, QCCQ, 7405.

[7]     Art. 2474 CCQ ; Industrielle Alliance, Assurance auto et habitation inc. c. Whirlpool Canada, op. cit.

[8]     Art. 1064.1 CCQ.

Me Sébastien Fiset
Me Sébastien Fiset
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