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Les sinistres en copropriété (2ème partie)

Par Me Gérald Denoncin

Dans l’édition du printemps 2023, nous avons présenté les droits, les obligations et les limitations du Syndicat en cas de sinistre suite à l’adoption du projet de loi 141 qui est venu modifier substantiellement les dispositions du Code civil du Québec (ci-après le « CCQ ») relatives à la copropriété divise d’un immeuble.

Nous avons aussi abordé la position du syndicat relativement à un locataire dans un même contexte, lequel est un tiers par rapport au premier.

Par le présent article, nous discutons de la nature alambiquée de l’exercice procédural d’un recours impliquant le locataire en cette circonstance. 

LES QUESTIONS DE PROCÉDURE

S’il paraît évident qu’un recours direct d’un syndicat à l’encontre d’un copropriétaire ou vice versa sera institué devant la Cour du Québec ou la Cour Supérieure selon le montant réclamé ou les conclusions recherchées à la suite d’un sinistre, la situation est passablement plus compliquée si le locataire est amené à la cause par l’une ou l’autre partie. En fait, dès le moment où la cause est « tripartite », la procédure, selon l’état du droit actuel, devient complexe. Il en est ainsi, par exemple, dans l’hypothèse où un locataire poursuit son locateur et le syndicat pour le préjudice qu’il subit, à la suite d’un sinistre, de ne pouvoir jouir paisiblement du logement. 

On peut ainsi s’imaginer une situation où la laveuse d’une unité d’habitation en copropriété coule et cause des dommages aux biens dans lesquels un syndicat à un intérêt assurable (c.‑à-d. tout l’immeuble, y compris les parties privatives, à l’exclusion des améliorations apportées par un copropriétaire à sa partie) et que le coût des réparations est de 25 000 $. Si le dommage résulte d’une manipulation fautive par le locataire de la laveuse, le syndicat poursuivra celui-ci devant la Cour du Québec. Cependant, si le locataire conteste cette version des faits et soutient que la laveuse s’est mise à couler sans aucune intervention de sa part et qu’il souhaitait appeler en garantie son locateur, propriétaire de l’unité et, dans cet exemple, de la laveuse, la situation se complexifie. En effet, le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l’exception des menues réparations d’entretien qui sont à charge du locataire sauf vétusté ou force majeure[1]. La présomption de faute tirée de l’article 1465 CCQ ne s’applique pas toujours au locataire. Plus encore, elle fait également mauvais emploi avec l’article 1074.2 CCQ. En fait, les articles 1864, 1465 et 1074,2 CCQ font ensemble mauvais emploi.

L’unicité des procédures est une la règle selon laquelle toutes les questions en litige doivent être débattues dans un seul procès devant un seul tribunal est le principe. En vertu de cette règle, il serait logique de prétendre que la Cour du Québec, dans notre exemple, tranchera toutes les questions du litige. 

Il n’en est rien.

En effet, en vertu de l’article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, le Tribunal administratif du logement (ci-après le « TAL ») connaît en première instance, à l’exclusion de tout autre tribunal, de toute demande relative au bail d’un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l’intérêt du demandeur dans l’objet de la demande ne dépassant pas le montant de la compétence de la Cour du Québec. Il s’agit d’une compétence exclusive du TAL. Elle est d’ordre public[2].

D’une part, selon la Cour d’appel, on ne peut pas passer outre la compétence exclusive du TAL qui doit primer sur l’équité de procéder par un seul procès[3]. La Cour d’appel considère en effet, dans l’affaire Thabbel, que seul le TAL est compétent en raison du bail de logement qui lie la locataire, même si cette dernière poursuit devant la Cour du Québec son locateur et la Ville de Montréal, à la suite des dommages qu’elle subit d’un refoulement d’eau provenant du bain et de la toilette dudit logement. La Cour conclut que la Cour du Québec n’a pas compétence en vertu de l’article de 28 de la Loi sur la Régie du logement, à l’égard de la réclamation visant le locateur. En effet, l’article 66 de l’ancien Code de procédure civile (depuis remplacé par le nouvel article 143 du Code de procédure civile) prévoit que plusieurs causes d’action peuvent être réunies dans une même demande en justice, pourvu que les recours exercés ne soient pas incompatibles ni contradictoires, qu’ils tendent à des condamnations de même nature, que leur réunion ne soit pas expressément défendue, et qu’ils soient sujets au même mode d’enquête. En d’autres termes, la Cour du Québec doit demeurer saisie du litige opposant la locataire à la Ville, et le TAL devait être saisi de la partie du litige opposant le locataire à son locateur. 

D’autre part, la Cour supérieure[4] s’est également prononcée en ce sens dans une instance où la locataire demandait la condamnation de la locatrice à une diminution de loyer et à des dommages-intérêts, et ce même si la locatrice avait appelé en garantie le syndicat de copropriété. La Cour a conclu que le TAL avait juridiction, mais pas pour entendre l’appel en garantie contre le syndicat en raison du lien de droit entre la locatrice et le syndicat, lequel lien ne relevait pas du contrat de bail, mais de la déclaration de copropriété.

Dans notre exemple (la laveuse), la demande du syndicat à l’égard du locataire est de nature extracontractuelle. Elle est donc régie par l’article 1065 CCQ. En revanche, l’appel en garantie du locataire vis-à-vis de son locateur se fonde sur les obligations du bail de logement. En conséquence, en vertu de l’article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement et l’analyse qui en est faite par la jurisprudence, seul le TAL a compétence pour la portion opposant le locataire à son locateur. Il y aura donc deux demandes portées devant les tribunaux : l’une devant la Cour du Québec et l’autre devant le TAL. Cette situation est, à notre opinion et avec respect pour l’opinion contraire, de nature à aboutir à des décisions contradictoires et à priver une partie de son droit à une défense pleine et entière. Bien que les articles 58 et 104 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement prévoient la suspension de procédure dans certaines circonstances, tantôt par le TAL, tantôt par la Cour du Québec (ou la Cour Supérieure), rien n’est prévu dans les cas similaires à notre exemple. 

On peut ainsi imaginer que la Cour du Québec décide que le locataire n’est pas responsable du préjudice du syndicat et, parallèlement, que le TAL décide que le locateur ou le locataire est responsable en vertu du bail et de ses obligations selon le CCQ. Le syndicat n’étant pas partie à la procédure devant le TAL, il ne peut se prévaloir directement de la décision. Il devra faire la preuve à nouveau. Si, en plus, le syndicat a procédé aux réparations de l’unité d’habitation, la décision du TAL est sans intérêt pour le copropriétaire locateur puisqu’il ne subit alors aucun préjudice en vertu duquel il pourrait réclamer réparation locataire. Ainsi, bien que le locataire soit trouvé responsable, il ne devra rien dédommager au syndicat, sa responsabilité étant uniquement engagée devant le TAL vis-à-vis du locateur. Plus encore, si le syndicat décide de poursuivre le locateur pour le dommage subi, ce dernier ne pourra opposer au syndicat la décision du TAL qui déclare le locataire responsable. En pareille hypothèse, le fait que deux demandes distinctes ont été formulées devant deux juridictions distinctes rend impossible l’appel en garantie, laissant ainsi le syndicat avec son préjudice bien que le locataire ait été déclaré responsable par le TAL. Cette illustration démontre l’incohérence en droit, puisque le responsable d’un préjudice n’est pas tenu de réparer celui-ci, contrairement aux principes de la responsabilité civile.

La nature des dispositions du Code civil du Québec en matière de copropriété divise, lesquelles obligent le syndicat, administrateur du bien d’autrui, indépendamment de toute responsabilité, à veiller à l’exécution des réparations requises à la suite d’un sinistre (1039 et 1074.1 CCQ), crée une situation qui requiert une unicité des procédures pour une décision complète et cohérente. Il n’y a pas, comme en matière de responsabilité civile (1457 et 1457 CCQ) de relation directe entre celui qui subit le dommage et le fautif qui est tenu à la réparation. Il y a un troisième intervenant, le syndicat, qui doit en vertu de la loi (1074.1 CCQ) avec diligence voir à la réparation des dommages qui sont le plus souvent causés par un tiers (locateur ou locataire, par hypothèse). 

Nous sommes donc d’opinion que le gouvernement du Québec doit légiférer à ce sujet. La Cour du Québec (ou Cour Supérieure) doit pouvoir entendre toutes les parties dans un seul et même procès dès qu’il y a appel en garantie entre un locateur et un locataire en présence du syndicat. Le syndicat ne doit pas être privé des dispositions applicables en matière de louage et d’impliquer la responsabilité du locateur et/ou du locataire. 

À défaut, nous recommandons un amendement de l’article 1079 CCQ pour permettre au syndicat d’agir devant le TAL contre le locateur et le locataire en cas de sinistre dans l’Immeuble, ledit article 1079 CCQ permettant déjà au syndicat, malgré le fait qu’il ne soit pas partie au bail, d’en demander la résiliation. Ce faisant, le Syndicat pourrait introduire sa demande contre un locateur et son locataire devant le TAL. 

D’une ou l’autre des solutions, l’unicité des procédures est respectée et permet d’éviter des jugements contradictoires ou des situations privant une partie d’une défense pleine et entière.

Lors d’un prochain texte, en troisième partie, nous aborderons certaines clauses de la déclaration de copropriété qui méritent une attention particulière, savoir les clauses de responsabilité solidaire et les clauses compromissoires, dans le contexte d’une relation syndicat, locateur et locataire. Nous discuterons également de la question de l’opposabilité au locataire de la déclaration de copropriété (acte constitutif, règlement d’immeuble et état descriptif des fractions).


[1]     Art. 1864 CCQ.

[2]     9305-7396 Québec inc. c. Syndicat des copropriétaires Altoria, 2021, QCCS 1329.

[3]     Thabbel c. Union canadienne (L’), compagnie d’assurances, 2006 QCCA 771. Voir également Paradis c. 9287-2613 Québec inc., 2016 QCCQ 4365 et Houshmand c. Livingston, 2018 QCCQ 4284.  

[4]     Mérineau c. Champoux-Tanner, 1998, QCCS, J. L. 51.  

Me Sébastien Fiset
Me Sébastien Fiset
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