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Les travaux dans les parties communes de la copropriété peuvent être approuvés par le CA quand la sécurité de l’immeuble est en jeu

Lundi, 06 Octobre 2014 15:24

Dans un jugement récent[1], la Cour supérieure doit se prononcer sur la demande en injonction émise par une copropriétaire contre une autre copropriétaire afin de le forcer à remettre dans on état original sa copropriété. La copropriétaire en question avait effectué des réparations aux parties communes elle-même.

Dans les faits, la copropriété en question compte 6 parties privatives.

[6] Tout ce litige découle d’une situation en apparence fort simple : suite à son déménagement, [la demanderesse] réalise que son unité de copropriété comporte une particularité. Elle a une entrée principale, soit la porte d’entrée de l’unité, mais il n’y a pas de sortie secondaire qui lui permettrait de quitter sa demeure, par exemple, en cas d’urgence.

[7] Madame Bérubé s’inquiète de cette situation et expose le tout à un inspecteur de la Ville. Effectivement, suite à une visite effectuée le 4 juin 2010 par l’Inspecteur, un avis d’infraction au règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements est émis. Le problème ne touche que l’unité de Mme Bérubé, les autres unités sont conformes.

[8] Madame Bérubé se retrouve dans une position fâcheuse. Son unité de copropriété ne comporte pas deux issues, telles qu’exigées par la règlementation municipale. Elle croît qu’elle doit faire effectuer les travaux nécessaires pour se conformer au règlement.

[9] Le 22 novembre 2010, malgré une mise en demeure de ne pas agir de Mme Nadeau, Mme Bérubé procède en partie aux travaux. Une porte-patio est installée à l’arrière de l’unité et remplace la fenêtre existante.

[10] Madame Nadeau, sa voisine d’unité, s’oppose au projet. Elle est d’avis que Madame Bérubé ne peut effectuer les travaux sans l’autorisation requise par les copropriétaires. C’est pour cette raison que Madame Nadeau entreprend une procédure en injonction.

[11] Les parties débattent à savoir quelle autorisation est requise et si elle est correctement obtenue. Après la première journée d’audition du dossier, le Tribunal est informé qu’une réunion des copropriétaires est tenue en soirée du 9 janvier 2014. Même après cette réunion, les parties ne s’entendent pas sur l’approbation ou non des copropriétaires au projet de Mme Bérubé.

[…]

[17] Les représentants de la Ville réalisent qu’il y a un débat à la copropriété et exigent de Madame Bérubé un document confirmant l’accord des copropriétaires. Ceci explique la mention au dossier de la Ville : « quatre propriétaires sur six ont donné leur accord au projet (voir document signé par eux) et qui représentent plus de 50% de quote part (58,5% exactement). Le permis est émis sur la base que la majorité des propriétaires sont d’accord avec le projet. »

[…]

[20] Il est clair que la Ville n’impose pas une solution dans le cas présent. Le dossier est analysé en fonction de ce qui est proposé par la personne qui requiert le permis. Ce que Madame Bérubé présente est acceptable pour la Ville. En d’autres termes, la Ville n’a pas pris position relativement au fait que Madame Nadeau croit que la deuxième issue aurait pu être aménagée d’une autre façon.

[21] Jusqu’à maintenant, la Ville a émis le permis pour les travaux et accepte de ne pas intervenir vu les procédures en injonction.

[22] Cependant, il n’est pas question de tolérance dans le cas présent. Techniquement, une contravention pourrait être donnée pour tous les jours où le problème persiste et, ultimement la Ville pourrait y aller de ses propres procédures judiciaires pour forcer la conformité.

[23] Il ressort des témoignages des représentants de la Ville que si le Tribunal ordonne à Madame Bérubé de remettre l’unité dans son état original, la Ville sera face à une situation où il n’y a pas deux issues et il y aura donc contravention à son règlement.

[24] Pour l’instant, la Ville accepte de tenir son dossier en suspens puisque le niveau de sécurité de Madame Bérubé est acceptable. La Ville attend la conclusion du dossier judiciaire avant de prendre une décision.

[25] Le Tribunal retient donc que la non-conformité au règlement municipal est réelle et que l’unité de Madame Bérubé n’est pas conforme.

[…]

[27] En soi, modifier le mur extérieur représente une modification d’une partie commune de la copropriété. C’est là le sens qu’il faut donner à la déclaration de copropriété qui définit ce qui est une partie privative et ce qui est une partie commune. Les documents soumis par Madame Bérubé aux copropriétaires, soit le projet de transformation et le rapport de l’architecte illustre bien les travaux entrepris (remplacement de la fenêtre) et ceux à terminer (ajout d’un balcon et d’escalier).

[…]

[30] Madame Nadeau est d’avis que les travaux entrepris par Madame Bérubé sont des travaux de transformation ou d’agrandissement d’une partie commune de la copropriété et que dans un tel cas, le mécanisme prévu à l’article 1097 C.c.Q. s’applique.

[31] Cet article, qui est au cœur du débat entre les parties s’écrit :

Art. 1097 : Sont prises à la majorité des copropriétaires, représentant les trois quarts des voix de tous les copropriétaires, les décisions qui concernent:

1° Les actes d’acquisition ou d’aliénation immobilière par le syndicat;

2°Les travaux de transformation, d’agrandissement ou d’amélioration des parties communes, ainsi que la répartition du coût de ces travaux;

3° La construction de bâtiments pour créer de nouvelles fractions;

4° La modification de l’acte constitutif de copropriété ou de l’état descriptif des

fractions. [Soulignement du Tribunal]

[32] Madame Nadeau prétend qu’en aucun cas Madame Bérubé n’a obtenu l’autorisation de la majorité représentant les trois-quarts des voix de tous les copropriétaires.

[…]

[60] Le Tribunal ajoute que même si la preuve de l’approbation à la majorité des copropriétaires ne se trouvait pas au dossier, il aurait conclu qu’en l’espèce les dispositions de l’article 1097 C.c.Q. n’empêchent pas le projet de Madame Bérubé et ce, pour les raisons qui suivent.

[61] Les travaux envisagés par Madame Bérubé touchent une question de sécurité. L’immeuble doit être conforme au règlement municipal. Ajoutons que les avis d’infraction de la Ville ne sont pas contestés et que les parties en l’instance voulaient d’ailleurs s’y conformer.

[62] En effet, même Madame Nadeau ne s’opposait pas à une deuxième issue à l’unité de Madame Bérubé. C’est plutôt qu’elle désire que les travaux se réalisent d’une autre façon et qui n’implique pas l’installation d’une porte-patio donnant sur la cour arrière de la copropriété.

[63] Le Tribunal est d’avis que dans un cas où la sécurité de l’immeuble est en jeu, les dispositions de l’article 1097 C.c.Q. ne s’appliquent pas. Il s’agit d’une décision que le Syndicat, par son conseil d’administration, peut prendre.

[64] Me Christine Gagnon émet l’opinion que le Syndicat, par le biais du conseil d’administration, a l’obligation d’agir lorsqu’il s’agit de décisions touchant des travaux de conservation. Me Gagnon classe les travaux de mise à niveau nécessaire à l’immeuble comme faisant partie des mesures de conservation auxquelles le Syndicat doit donner suite et pour lequel il peut d’ailleurs encourir une responsabilité.

[65] Voici ce que Me Gagnon écrit :

« Il existe plusieurs types de travaux dans un immeuble détenu en copropriété divise. Selon le type de travaux, des règles différentes s’appliquent afin de déterminer, qui de l’assemblée des copropriétaires ou du conseil d’administration, doit approuver ces travaux et, dans le cas de l’assemblée des copropriétaires, à quelle majorité.

Mentionnons certaines dispositions du Code civil du Québec qui sont pertinentes. D’abord, l’article 1039 C.c.Q définit les objets du syndicat, dont notamment :

[…] la conservation de l’immeuble, l’entretien et l’administration des parties communes, la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble ou à la copropriété ainsi que toutes les opérations d’intérêt commun.

Le Code civil du Québec prévoit de plus la possibilité que les travaux de conservation affectent une partie privative et empêche tout copropriétaire ou locataire d’y faire obstacle.

L’article 1077 C.c.Q. tient le syndicat responsable envers les copropriétaires et les tiers des dommages qui peuvent leur être causés par le défaut d’entretien des parties communes.

On peut dès lors conclure que la conservation de l’immeuble et l’entretien des parties communes générales et à usage restreint constituent un devoir pour le syndicat, sous réserve, croyons-nous, de certaines dispositions de la déclaration de copropriété qui pourraient confier l’entretien de certaines parties communes à usage restreint au titulaire du droit d’usage exclusif.

Le défaut par le syndicat de voir à l’entretien des parties communes et à la conservation de l’immeuble, en plus d’entraîner sa responsabilité civile en application de l’article 1077 C.c.Q., est susceptible d’être sanctionné par une injonction lui enjoignant de s’y conformer, laquelle pourrait être prononcée à la demande de tout copropriétaire.»

[66] Pour le Tribunal, prévoir des travaux pour se conformer à l’avis de la Ville n’est pas un travail de transformation au sens de l’article 1097 C.c.Q. Le Syndicat n’a pas le choix, ni l’assemblée des copropriétaires. Ce sont des travaux nécessaires à la conservation de l’immeuble.

[67] Le Conseil d’administration a implicitement approuvé les travaux de Madame Bérubé. Ceci ressort de la preuve et plus amplement du fait que Madame Lajoie, Madame Bérubé et Madame Nadeau ont été membres du conseil d’administration et se sont affrontées au sujet des travaux à effectuer.

[68] Or, il est clair du témoignage de Madame Lajoie, qu’elle est en accord avec le projet de Madame Bérubé. Le Tribunal tient à souligner qu’il n’a aucune raison de douter du témoignage de Madame Lajoie, même si lors d’une assemblée, elle a effectivement voté à l’encontre du projet. Elle a expliqué la raison qui l’a alors motivée, soit la crainte d’une procédure judiciaire qui l’aurait visée personnellement.

[…]

[71] Bref, le Conseil d’administration du Syndicat, par sa majorité, s’est montré en accord avec les travaux.

COMMENTAIRE : Ce jugement nous enseigne qu’en outre des travaux de réparation de l’immeuble, seul le conseil d’administration a le pouvoir d’approuver les travaux de modification pourvu que ces modifications soient nécessaires à la conservation de l’immeuble. Le conseil d’administration d’un syndicat de copropriété devrait ainsi faire la distinction entre les modifications d’agrément et les modifications nécessaires à la conservation de l’immeuble, d’autant plus qu’elles touchent à la sécurité de l’immeuble et de ses résidents.

 


[1] Nadeau c. Bérubé, 2014 QCCS 3926

 

Mise à jour le Lundi, 06 Octobre 2014 15:40

Me Sébastien Fiset
Me Sébastien Fiset
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