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La Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (Projet de loi 96) et ses impacts en copropriété divise

Par Me Sébastien Fiset et Janel Beaudin

1)      Le Projet de loi 96

Le 24 mai 2022, l’Assemblée nationale a adopté le Projet de loi 96, intitulé la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, ci-après la « Loi », laquelle a reçu la sanction royale le 1er juin 2022. Certaines des modifications apportées sont entrées en vigueur avec la sanction royale du 1er juin 2022 alors que nous sommes en attente de date pour certaines autres dispositions.

L’Assemblée nationale a invoqué la clause nonobstant afin de justifier certaines des clauses de la Loi.  Dans la mesure du présent article, les articles 124 à 126 de la Loi s’appliquent malgré les articles 1 à 38 de la Charter of Human Rights and Freedoms, CQLR c C-12 du Québec et malgré les articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Les citations à venir sont nos interprétations de l’application de la Loi et n’ont aucune valeur officielle.

2)      Les modifications apportées par la Loi

                    i.            Ajout de l’article 55.1 à la Charte de la langue française

L’article 45 de la Loi vient ajouter l’article 55.1 à la Charte de la langue française. Cet article concerne la rédaction de certains contrats :

55.1. Doivent être rédigés en français:

1° le contrat de vente ou d’échange d’une partie ou de l’ensemble d’un immeuble principalement résidentiel de moins de cinq logements ou d’une fraction d’un immeuble principalement résidentiel qui fait l’objet d’une convention ou d’une déclaration visée aux articles 1009 à 1109 du Code civil;

2° la promesse de conclure le contrat visé au paragraphe 1°;

3° le contrat préliminaire prévu à l’article 1785 de ce code;

4° la note d’information prévue à l’article 1787 de ce code.

Les contrats et les autres documents visés au premier alinéa peuvent être rédigés exclusivement dans une autre langue que le français si telle est la volonté expresse des parties.

Le présent article ne s’applique pas aux contrats et aux autres documents visés à l’article 55.

Ainsi, depuis le 1er juin 2022, à moins que ce ne soit la volonté expresse[1] des parties, doit être rédigé exclusivement en français :

  1. The contrat de vente ou d’échange d’une partie ou de l’ensemble d’un immeuble principalement résidentiel de moins de cinq logements ou d’une fraction d’un immeuble principalement résidentiel qui fait l’objet d’une convention d’indivision ou d’une déclaration de copropriété;
  • The promesse de conclure tel contrat;
  • The contrat préliminaire and the note d’information.

The contrat préliminaire est le contrat qui précède la vente d’un immeuble à usage d’habitation, bâti ou à bâtir, faite par le constructeur de l’immeuble ou par un promoteur à une personne physique qui l’acquiert pour l’occuper elle-même[2]. Si la vente porte sur une fraction de copropriété divise ou sur une part indivise d’un immeuble à usage d’habitation ou une résidence faisant partie d’un ensemble de résidences ayant des installations communes, le vendeur doit remettre au promettant acheteur, lors de la signature du contrat préliminaire, une note d’information[3].

The note d’information complète le contrat préliminaire. Elle contient notamment[4] :

  1. Les noms des architectes, ingénieurs, constructeurs et promoteurs;
  • Un plan de l’ensemble du projet immobilier et, s’il y a lieu, le plan général de développement du projet, ainsi que le sommaire d’un devis descriptif;
  • Le budget prévisionnel établi sur une base annuelle à compter de l’inscription de la déclaration de copropriété;
  • Les installations communes;
  • Les renseignements sur la gérance de l’immeuble;
  • S’il y a lieu, sur les droits d’emphytéose et les droits de propriété superficiaire dont l’immeuble fait l’objet;
  • Si l’immeuble est visé par un plan de garantie et les modalités qui permettent au promettant acheteur d’en prendre connaissance;
  • Une copie ou un résumé de la déclaration de copropriété ou de la convention d’indivision et du règlement de l’immeuble, même si ces documents sont à l’état d’ébauche;
  • Si la vente est en matière de copropriété divise, un état des baux consentit par le promoteur ou le constructeur sur les parties privatives ou communes de l’immeuble et indique le nombre maximum de fractions destinées par eux à des fins locatives.

                  ii.            Modification de l’article 1060 du Code civil du Québec

L’article 124 de la Loi vient modifier l’article 1060 du Civil Code of Quebec, ci-après « C.c.Q. », comme suit :

1060. La déclaration, ainsi que les modifications apportées à l’acte constitutif de copropriété et à l’état descriptif des fractions, sont présentées exclusivement en français au Bureau de la publicité foncière. La déclaration est inscrite au registre foncier, sous les numéros d’immatriculation des parties communes et des parties privatives; les modifications ne sont inscrites que sous le numéro d’immatriculation des parties communes, à moins qu’elles ne touchent directement une partie privative. Quant aux modifications apportées au règlement de l’immeuble, elles doivent l’être de manière expresse, dans un procès-verbal ou une résolution écrite des copropriétaires, et il suffit qu’elles soient déposées au registre tenu par le syndicat conformément à l’article 1070. Ces modifications doivent être apportées exclusivement en français.

The emphyteuta or superficiary, if any, shall give notice of the registration to the owner of the immovable under emphyteusis or on which superficies has been established.

(Les ajouts soulignés sont les nôtres)

Dorénavant, toutes les modifications à une déclaration de copropriété (acte constitutif, règlement de l’immeuble et état descriptif des fractions) devront être rédigées exclusivement en français. Ici, le législateur n’a pas prévu d’exception lorsque la volonté expresse des parties est de rédiger les modifications dans une autre langue que le français, on en déduit donc que seul le français est permis.

De plus, les modifications aux règlements de l’immeuble doivent aussi être dans un procès-verbal ou une résolution écrite des copropriétaires exclusivement en français.

                iii.            L’ajout de l’article 1070.1.1. C.c.Q.

L’article 124.1 de la Loi vient ajouter l’article 1070.1.1 C.c.Q. qui se lira comme suit :

1070.1.1. Le registre et les documents tenus à la disposition des copropriétaires ainsi que tout document rédigé par le syndicat à l’intention d’un copropriétaire doivent être rédigés en français.

L’Office québécois de la langue française veille à l’application du premier alinéa comme s’il s’agissait d’une disposition de la Charte de la langue française (chapitre C-11). 

Le registre de la copropriété contient notamment :

  1. Le nom et l’adresse postale de chaque copropriétaire ;
  2. Les procès-verbaux des assemblées des copropriétaires et du conseil d’administration ;
  3. Les résolutions écrites ;
  4. Le règlement de l’immeuble et ses modifications ;
  5. Les états financiers.
  6. La déclaration de copropriété ;
  7. Les copies de contrats auxquels le syndicat est parti ;
  8. Les plans cadastraux ;
  9. Les plans et devis de l’immeuble bâti ainsi que les certificats de localisation de l’immeuble s’ils sont disponibles ;
  10. Le carnet d’entretien ;
  11. L’étude du fonds de prévoyance ;
  12. Une description des parties privatives suffisamment précise pour que les améliorations apportées par les copropriétaires soient identifiables ;
  13. Les modifications au règlement de l’immeuble ;
  14. Tous autres documents et renseignements relatifs à l’immeuble et au syndicat ou prévus par règlement du gouvernement.

L’ensemble des documents ci-dessous devront être en français dans le registre de la copropriété. Toutefois, par l’absence du terme « exclusivement » et puisque le législateur ne parle pas pour ne rien dire, nous sommes d’avis qu’une copie rédigée en anglais peut également être jointe au registre de la copropriété sans avoir de valeur officielle.

Par la mention de « tout autre document rédigé par le syndicat à un copropriétaire », nous comprenons que l’avis de convocation à l’assemblée des copropriétaires et les documents y étant joints doivent également être en français.

                iv.            La modification des articles 2984 et 3006 C.c.Q.

Les articles 125 et 126 de la Loi viennent modifier les articles 2984 et 3006 C.c.Q. concernant les demandes d’inscription au registre foncier et au registre des droits personnels et réels mobiliers comme suit :

2984. Les réquisitions d’inscription sont signées, attestées et présentées de la manière prévue par la loi, le présent titre ou les règlements. Les réquisitions d’inscription sont rédigées exclusivement en français.

3006. Lorsque la loi prescrit que la réquisition doit être présentée accompagnée de documents, ces documents, s’ils sont rédigés dans une langue autre que le français ou l’anglais, doivent, en plus, être accompagnés d’une traduction vidimée au Québec.

(Les ajouts soulignés et retraits sont les nôtres)

Ainsi, les demandes d’inscriptions dans les différents registres devront être rédigées exclusivement en français. Si les originaux des documents accompagnant la demande d’inscription ne sont pas en français, une copie certifiée conforme en français devra être jointe à la demande d’inscription.

Ces articles entreront en vigueur à la date qui suit de trois mois celle de la sanction de la Loi, nous escomptons donc une entrée en vigueur le 1er septembre 2022.

Toutefois, en vertu de l’article 196 de la Loi, malgré les articles 1060, 2984 et 3006 C.c.Q.  modifiés respectivement par les articles 124 à 126 de la Loi, peut être présenté en anglais au bureau de la publicité des droits l’acte qui modifie ou corrige un autre acte qui y a été présenté avant le 1er juin 2022 en anglais.

Nous estimons que cela vaut pour les déclarations de copropriété. Par conséquent, selon notre interprétation, les modifications à une déclaration de copropriété publiée en anglais avant le 1er juin 2022 pourront également être rédigées, présentées et inscrites en anglais, sous réserve des modifications aux articles 205 à 208 de la Charte de la langue française que nous traitons ci-après. La même analogie s’applique aux documents accompagnant la réquisition d’inscription au registre foncier.

                  v.            Modifications des articles 205 à 208 de la Charte de la langue française

L’article 114 de la Loi, entrée en vigueur le 1er juin 2022, vient modifier le « Chapitre I Sanctions civiles » de la Charte de la langue française de la sorte :

204.24. Pour l’application de l’article 1435 du Code civil, l’adhérent est présumé ne pas avoir connaissance d’une clause externe rédigée dans une autre langue que le français, à moins que le contrat n’ait été rédigé dans cette autre langue à la demande expresse de l’adhérent.

204.25. Pour l’application de l’article 1436 du Code civil, une clause rédigée dans une autre langue que le français est réputée incompréhensible, à moins que le contrat n’ait été rédigé dans cette autre langue à la demande expresse de l’adhérent.

Dans l’interprétation des contrats, lorsque le contrat est un contrat d’adhésion[5] (c’est-à-dire qu’une personne adhère au contrat sans avoir la possibilité d’en négocier les termes et conditions), à moins que le contrat ne soit rédigé dans une autre langue que le français à la demande expresse de l’adhérent, l’adhérent (celui qui s’y soumet) sera présumé ne pas avoir pris connaissance de toute clause externe rédigée dans une autre langue que le français. Cette présomption est réfragable, donc peut être contredite par une preuve à l’effet contraire.

Plus encore, toute clause rédigée dans une autre langue que le français est réputée incompréhensible. Cette deuxième présomption est irréfragable, elle ne peut pas être contredite par une preuve contraire.

La déclaration de copropriété et ses actes de modifications constituent un contrat unilatéralement imposé par le promoteur au copropriétaire lorsqu’il achète une unité. Le copropriétaire est en effet parti à un contrat qu’il n’a pas négocié, qu’il n’a pas rédigé et qu’il ne peut pas refuser. La déclaration de copropriété est un contrat d’adhésion entre les copropriétaires et le syndicat de copropriété[6] et est donc soumise à l’interprétation des articles 1435 et 1436 C.c.Q.

Afin que la clause externe soit nulle, l’article 1435 C.c.Q. prévoit les conditions suivantes :

  1. Contrat de consommation ou d’adhésion ;
  2. La clause n’a pas été expressément portée à la connaissance du consommateur ou de l’adhérent au moment de la formation du contrat ;
  3. L’adhérent ou le consommateur n’en avait pas autrement connaissance.

La nouvelle interprétation de l’article 1435 C.c.Q. prévoit, selon nous, que l’adhérent est présumé ne pas avoir eu autrement connaissance de la clause externe. Ainsi, lorsque le contrat est d’adhésion ou de consommation, si la clause externe n’a pas été expressément portée à la connaissance du consommateur ou de l’adhérant lors de la formation du contrat, même si l’autre partie prouve que ce dernier en avait par ailleurs connaissance, si la clause externe n’a pas été rédigée en anglais à sa demande expresse, elle sera nulle.

Quant à l’article 1436 C.c.Q., selon notre interprétation de l’application de la Loi, cela fait en sorte que pour le copropriétaire francophone dont la déclaration de copropriété a été rédigée avant le 1er juin 2022 en anglais, puis après cette date corrigée ou modifiée en anglais par un acte d’amendement, la déclaration de copropriété est réputée incompréhensible. Ainsi, une modification ou une correction à une déclaration de copropriété qui serait rédigée, inscrite et publiée en anglais après le 1er juin 2022 sera réputée incompréhensible, quand bien même la Loi prévoit qu’il est possible de le faire si la déclaration de copropriété a été rédigée, inscrite et publiée en anglais avant le 1er juin 2022.

Afin qu’une clause soit nulle, l’article 1436 C.c.Q. prévoit les conditions suivantes :

  1. Contrat de consommation ou d’adhésion ;
  2. La clause est illisible ou incompréhensible pour une personne raisonnable ;
  3. Un préjudice subi par l’adhérent.

Tel qu’expliqué préalablement, la déclaration de copropriété est un contrat d’adhésion et les modifications ou corrections en anglais, quoique permises si la déclaration de copropriété a été publiée en anglais avant le 1er juin 2022, sont incompréhensibles. Ainsi, en cas de conflit dans l’interprétation de la déclaration de copropriété, le copropriétaire (adhérent) devra seulement prouver en avoir subi un préjudice afin d’invoquer la nullité des clauses de la déclaration de copropriété.

Vu l’importance de la déclaration de copropriété, nous pouvons facilement voir les contraintes pratiques que cela engendre en matière de copropriété divise. Nous surveillerons de près l’interprétation que donneront les tribunaux aux articles 1435 et 1436 C.c.Q.

3)      Conclusions

À la vue de ce qui précède, les déclarations de copropriété devront dorénavant être rédigées en français. De plus, les contrats préliminaires et notes d’informations devront également être exclusivement en français, sauf du consentement des parties.

Lorsque le promoteur immobilier procède à la vente d’une unité, celui-ci doit joindre une note d’information au contrat préliminaire. Tel qu’expliqué précédemment, la déclaration de copropriété doit être jointe à la note d’information, ce faisant la déclaration de copropriété est une clause externe au contrat préliminaire. La déclaration de copropriété devra donc être jointe en français. Pour être joint en anglais, cela devra être fait du consentement et à la demande expresse de l’ensemble des copropriétaires qui achèteront sur plan du promoteur immobilier serait requis. Considérant la proportion de francophones au Québec, cela s’avère illusoire pour un promoteur immobilier.

Plus encore, si la déclaration de copropriété est rédigée dans une autre langue que le français, elle sera réputée être incompréhensible à l’adhérent, soit le copropriétaire qui n’a pas donné son consentement exprès à l’effet que la déclaration de copropriété soit rédigée dans une autre langue que le français.

Considérant, les interprétations des articles 1435 et 1436 C.c.Q., et vu l’article 1793 C.c.Q. qui prévoit que lorsque la vente d’un immeuble à usage d’habitation n’est pas précédée du contrat préliminaire ou de la note d’information, l’acheteur peut, s’il en subit un préjudice sérieux, demander la nullité de la vente et des dommages-intérêts, nous surveillerons de près l’interprétation qu’en feront les tribunaux.

Bien que la Loi ait prévu une exception à l’effet que le contrat d’adhésion soit rédigé en français lorsque l’adhérent donne son consentement exprès, nous soulevons un énorme défi d’application en matière de copropriété divise. Le promoteur immobilier qui désire rédiger sa déclaration de copropriété en anglais doit s’assurer d’avoir obtenu le consentement exprès de l’ensemble des futurs copropriétaires qui achèteront sur plan. D’un point de vue pratique, cela représente un défi de taille, voire irréalisable.

Quant aux déclarations de copropriété déjà existantes, les actes publiés au bureau de la publicité des droits devront également exclusivement être en français, excepté si l’acte modifie ou corrige un autre acte exclusivement dans une autre langue que le français et qui a été présenté au bureau de la publicité des droits avant le 1er juin 2022.

Cela étant dit, nous sommes d’avis que bien que les résolutions modifiant la déclaration de copropriété à être déposées au registre de la copropriété doivent dorénavant être exclusivement en français, il n’est pas interdit d’y déposer également une version anglaise qui n’a pas de valeur officielle.

Enfin, l’avis de convocation à une assemblée des copropriétaires devra minimalement être en français, mais peut être bilingue. La Loi n’interdit pas que l’assemblée des copropriétaires soit bilingue.


[1]Grand dictionnaire terminologique : exprès, en ligne, Office québécois de la langue française « https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/Resultat.aspx » : Le terme exprès est exprimé formellement, explicitement, généralement verbalement, par écrit ou même par un geste, par opposition à tacite ou implicite.

[2] Art. 1785 C.c.Q.

[3] Art. 1787 C.c.Q.

[4] Articles 1788, 1789 et 1791 C.c.Q.

[5] Art. 1379 C.c.Q.

[6] Syndicat de copropriétaires du Bourg de la rive c. Brownstein, 2011 QCCS 3281; Syndicat de copropriétaires de l’Aristocrate c. Morgan, [2000] R.J.Q. 1516 (C.S.).

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