Vendredi, 31 Octobre 2014 10:09 |
Une maison hantée peut-elle être atteinte d’un vice caché?
Les cas inusités constituent une opportunité intéressante et ludique de repousser les limites de la réflexion du juriste en appliquant des principes juridiques connus à des situations que le législateur n’a pas pu prévoir.
Comment le droit appréhende-t-il les allégations d’évènements surnaturels dans le cadre d’un recours pour vices cachés (1726 C.c.Q.[1])? Les reconnaît-il? De quelle manière?
Nous verrons que la question n’est pas aussi farfelue qu’on serait porté à le croire puisque le sujet a fait l’objet d’une étude poussée au début des années 90 dans l’État de New York.
1. LE CAS PHARE: STAMBOVSKY V. ACKLEY, 169 A.D.2D 254 (NY APP. DIV. 1991)
Il s’agit d’un cas de 1991 dans lequel la Cour suprême de l’État de New York doit entendre les faits suivants:
- La vendeuse et sa famille ont vécu dans la maison en litige pendant de nombreuses années au cours desquelles, elle a pu rapporter l’existence de nombreux fantômes. La maison est située dans un village de 5 000 habitants situé dans l’État de New York.
- Notamment, elle rapportera la présence de fantômes au Reader’s Digest en 1977 dans un article intitulé “Our Haunted House on the Hudson” (traduire: “notre maison hantée sur la rivière Hudson”), et à trois autres occasions dans des journaux locaux en 1977 et en 1989. La maison fera d’ailleurs l’objet de visites organisées de maisons hantées.
- À la fin des années 80, la vendeuse met la maison en vente par l’entremise d’un courtier. Elle rencontre ensuite l’acheteur. L’acheteur, qui vient de New York City, ne sait pas que la maison qu’il convoite serait hantée; la vendeuse et son courtier, par réticence, se garde de lui faire part de la nouvelle. L’acheteur signe donc l’offre d’achat avec un dépôt initial de 5% du prix total.
- Lorsque l’acheteur apprend éventuellement que la maison qu’il vient d’acquérir serait hantée, il entame des procédures en résolution de la vente (appelées action in rescission of a contract en Common law) ainsi qu’en dommages et intérêts pour fausses représentations, à l’encontre de la vendeuse et de son courtier.
- En première instance, le recours de l’acheteur est rejeté, et ce dernier se pourvoit en appel, qui traitera la cause selon la question suivante: À quelles conditions un acheteur peut-il soulever le devoir d’information du vendeur pour réclamer la résolution du contrat?
- Comme défense, la vendeuse soulève (i) le fait que les fantômes n’existent simplement pas et (ii) le principe de “Caveat emptor” (c’est à l’acheteur de faire attention).
Quant à son affirmation à l’effet que les fantômes n’existent pas, dans ce cas-ci, la Cour rappelle que la vendeuse, par ses déclarations antérieures, avait pourtant affirmé le contraire dans le passé. Ce faisant, elle a fait part, auprès du public, d’une information qu’elle ne pouvait pas passer sous silence à son acheteur lors de la vente. Elle se trouve donc empêchée de nier l’existence des fantômes dans le cadre de sa défense.
Heureusement, le Tribunal n’a pas besoin de prendre position quant à savoir si les fantômes existent ou non! Ce sur quoi le Tribunal a statué, c’est sur les conséquences des déclarations antérieures de la vendeuse qui ne pouvait pas affirmer que les fantômes n’existent pas puisqu’elle avait préalablement affirmé le contraire. Ce moyen de défense a donc été rejeté puisqu’il est contradictoire avec les déclarations passées [on peut parler d’une méthode de dialectique ad hominem utilisée par le juge afin de réfuter l’argument de la vendeuse, visant la mise en contradiction avec les propos passés].
Quant à la règle Caveat Emptor, celle-ci est issue du droit romain et fut traduite par les juristes de Common law comme “Buyers beware” et pouvant être traduit en français comme “acheteurs, méfiez-vous!”. Selon cette théorie, l’acheteur ne pourra pas se retourner contre son vendeur pour la seule raison que la propriété achetée est atteinte d’un vice caché qui en diminue son utilité. Il existe toutefois une exception: si le vendeur a sciemment caché le vice ou encore s’il a fait des fausses représentations auprès de son acheteur. Dans un cas comme celui-ci, la Cour d’appel note particulièrement que non seulement l’acheteur a été entretenu dans l’ignorance mais qu’il n’y avait aucune chance pour lui d’avoir l’heure juste quant à la nature hantée ou non de la maison à travers une inspection préachat:
“Ici, non seulement le vendeur a pris un avantage indu de l’ignorance du vendeur mais il a créé et perpétué une condition au sujet de laquelle les chances sont infimes pour qu’il mène enquête. Il en résulte que l’exécution tant partielle que totale du contrat de vente rebute à l’équité du tribunal […]”
[TRADUCTION]
Notons que la Cour d’appel de l’État de New York pousse son analyse en faisant référence à la culture populaire dans une analyse inattendue:
“Du point de vue d’une personne dans la position du demandeur, un problème pratique se pose suite à la découverte du phénomène paranormal: “who you gonna call?” comme le souligne le titre de la chanson “Chasseurs de fantômes” (ou “Ghostbusters”). Appliquer la règle stricte de caveat emptor à un contrat impliquant une maison possédée par des fantômes évoque la vision d’un voyant ou d’un médium accompagnant systématiquement l’ingénieur en structure et le dératiseur lors de l’inspection de toute maison qui fait l’objet d’une vente.”
2. QU’EN EST-IL DE LA MAISON HANTÉE EN DROIT QUÉBÉCOIS?
Il n’existe pas au Québec à ce jour de cas répertorié de recours en vices cachés pour cause de maison alléguée comme hantée. Il faut donc s’appuyer sur les termes de l’article 1726 du Civil Code of Quebec et faire le parallèle avec des cas similaires, comme celui de l’achat de maisons dans laquelle un suicide avait été commis.
A. Le cas de la maison dans laquelle un occupant s’est suicidé
Le Québec recense quelques cas de recours de l’acheteur contre le vendeur ou contre son courtier qui ne lui aurait pas révélé l’existence d’un suicide au cours des années précédant la vente.
Dans Knight c. Dionne, 2006 QCCQ 1260, le fils du vendeur s’était suicidé dans la maison plus de 10 ans avant la vente. Le juge Gabriel De Pokomandy, J.C.Q. concluait qu’il ne s’agissait pas d’un vice caché puisque ce fait ne pouvait influencer de manière suffisante la valeur de l’immeuble:
“[51] Le tribunal a beaucoup de difficulté à convenir que de tels éléments, dont l’importance dépend de la sensibilité, des phobies, des sentiments ou des appréhensions purement personnels et subjectifs qui ne sont pas en rapport avec la qualité de l’immeuble, doivent être objet de divulgation obligatoire.
[52] Édicter une telle règle mettrait sur les épaules du vendeur le fardeau impossible d’apprécier, parmi les évènements survenus dans la résidence, ceux qui pourraient être d’importance dans l’esprit de l’acheteur et de conséquence pour sa décision.”Est-ce suffisant pour nous permettre de conclure à l’absence de vice caché en la présence de suicide? Pas nécessairement! Le vendeur qui fait de fausses déclarations à l’acheteur qui tente de s’informer à cet égard pourra se voir condamner (Pineda c. Ferreira, 2012 QCCQ 93). De même pour la maison ayant fait l’objet d’un pacte de suicide alors que le vendeur a omis de le déclarer, voire menti à cet égard (Fortin c. Mercier, 2013 QCCS 5890).
B. Les critères à remplir au Québec pour faire reconnaître un “fantôme” comme vice caché
Pour faire l’objet de la garantie de qualité, un vice doit notamment être d’une nature telle qu’il rend le bien “impropre à l’usage auquel on le destine” ou “diminue tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus”.
i. La preuve du vice caché
Partons de l’hypothèse que le vice est caché dans ce cas. Comme l’expliquait la Cour suprême de l’État de New York, il serait déraisonnable de demander à un acheteur de se promener avec un voyant à chaque visite, au cas où. Là où le bât blesse pour l’acheteur voulant faire la preuve de son préjudice est que “Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention” (article 2803 du Civil Code of Quebec). L’acheteur devra donc faire la preuve du vice par tous les moyens possibles. On peut s’attendre à ce qu’un juge soit quelque peu sceptique à entendre son témoignage comme seule preuve de la présence d’une entité. Il lui faudra présenter le témoignage de tierces personnes, des photographies, enregistrements, vidéos, etc.
Quelle que soit la preuve fournie, il faudra que celle-ci soit assez convaincante pour convaincre le tribunal qu’il est plus probable qu’improbable que la maison soit hantée selon le principe de prépondérance des probabilités. Dans le cas STAMBOVSKY V. ACKLEY, la Cour suprême de l’État de New York a évité cette difficulté avec brio en se concentrant sur la question des fausses représentations.
Dans un article similaire, un juriste français en arrive même à une description par l’absurde de la situation en suggérant la nécessité le constat d’un huissier qui aura dû rester “dans votre chambre obscure toute la nuit”, ou encore un rapport rédigé par un “professionnel du secteur”[2]. On pourrait donc penser au voyant ou au médium qui devra alors se présenter ensuite au tribunal afin de témoigner, présenter son CV et faire la preuve de son expertise afin d’être qualifié comme témoin expert en vue d’éclairer la Cour.
ii. La gravité du vice
Une fois l’acheteur pleinement capable de faire la preuve de la présence d’apparitions, il devra démontrer que celles-ci sont telles qu’elles rendent la maison impropre à l’habitation ou bien qu’elles en affectent tellement l’usage qu’il n’aurait pas donné un si haut prix.
Il s’agirait d’un vice non pas matériel mais plutôt de nature fonctionnelle: la présence de l’entité empêche que la maison soit habitable.
Comme l’explique notre confrère français: “Les esprits frappeurs doivent donc être particulièrement envahissants! Quelques grincements occasionnels ne suffiront pas à faire annuler la vente!”
iii. Présence du vice lors de la vente
Mais l’acheteur doit aussi faire un travail additionnel: il devra prouver que le fantôme était présent lors de la vente et qu’il n’a donc pas pris possession des lieux après la vente. Voici une tâche ardue à accomplir, à moins que le vendeur ou le fantôme lui-même soit particulièrement volubile, mais dans ce dernier cas se posera alors un nouvel obstacle: le témoignage du fantôme est-il admissible? Sous quelles conditions, et faudra-t-il notamment l’assigner afin de permettre son témoignage? Quelle crédibilité lui donner?
C. Le traitement de la fausse représentation par le vendeur au Québec
La règle caveat emptor se pose sous une autre forme au Québec, où il revient au vendeur d’informer l’acheteur de toute information susceptible d’influencer sa décision de manière significative. Or, comme nous l’avons vu avec les cas de vente de maisons où un suicide avait eu lieu, il s’agit d’une question factuelle où les circonstances particulières de chaque affaire doivent être analysées. Le vendeur avait-il connaissance de la présence d’ « esprits frappeurs » dans la maison? Est-ce, d’ailleurs, la raison ayant précipité son départ? Ou bien au contraire, même s’il doutait de la présence d’un colocataire hors norme, aurait-il dû imaginer que cela affecterait l’usage de la maison pour le prochain occupant?
Cette obligation d’information de l’acheteur au Québec amènerait probablement un tribunal québécois à en venir aux mêmes conclusions que la division d’appel de la Cour suprême dans l’État de New York. Les agissements et déclarations du vendeur seraient considérés comme ayant eu une incidence directe (à condition d’être prouvé par expertise) sur la valeur marchande de la maison. L’acheteur n’aurait pas donné un si haut prix s’il avait su que ses vendeurs avaient fait la publicité à travers toute la ville à l’effet que la maison était hantée, le tout sans le lui dire le moindre mot à cet effet.
Finalement, la véritable question était plutôt de savoir si le vendeur aurait dû faire part de ses agissements à son acheteur, alors que ces agissements ont affecté la valeur marchande du bien vendu. Le caractère hanté ou non n’est que le véhicule inusité à une histoire somme toute plutôt banale d’un vendeur cachant un élément d’importance à son acheteur ayant eu une incidence sur la valeur du bien.
Le principe juridique de silence dolosif (art. 1401 al. 2 C.c.Q.) est un outil puissant en droit québécois, ouvrant la porte à l’obtention de la nullité de la vente en plus de dommages et intérêts (art. 1407 et 1728 C.c.Q.).
L’information fournie sur cette page est de nature générale et ne saurait pallier le besoin d’obtenir des conseils juridiques propres à une situation particulière.
[1] Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
[2] Me Jason Benizri, http://www.village-justice.com/articles/maison-hantee-appelle-avocat,12235.html, 21 mai 2012
Mise à jour le Vendredi, 31 Octobre 2014 10:16