Mardi, 16 Décembre 2014 09:46 |
Ce commentaire a été originairement publié dans La référence, décembre 2014, Cowansville, Éditions Yvon Blais, EYB2014REP1622.
Repères, Décembre 2014
Bruno BOURDELIN*
Commentaire sur la décision Nadeau c. Bérubé – Le pouvoir d’exception du conseil d’administration de la copropriété d’autoriser des travaux de transformation aux parties communes
Indexation
BIENS ; IMMEUBLE ; COPROPRIÉTÉ DIVISE D’UN IMMEUBLE ; DROITS ET OBLIGATIONS DES COPROPRIÉTAIRES ; DÉCLARATION DE COPROPRIÉTÉ ; CONSEIL D’ADMINISTRATION DU SYNDICAT ; ASSEMBLÉE DES COPROPRIÉTAIRES ; PROCÉDURE CIVILE ; PROCÉDURES SPÉCIALES ; INJONCTION PERMANENTE ; RESPONSABILITÉ CIVILE ; FAUTE ; ABUS DE DROIT ; PRÉJUDICE MATÉRIEL ; PRÉJUDICE MORAL ; DOMMAGES-INTÉRÊTS ; RESPONSABILITÉ DU FAIT PERSONNEL
TABLE DES MATIÈRES
A. L’unité de Mme Bérubé est-elle conforme à la réglementation municipale ?
B. Mme Bérubé devait-elle obtenir l’autorisation des copropriétaires ?
III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEUR
Résumé
L’auteur commente cette décision dans laquelle la Cour supérieure se penche sur le cas où un conseil d’administration peut être admis à autoriser des travaux aux parties communes de la copropriété en dépit de l’article 1097 du Code civil du Québec, statuant que les décisions d’effectuer des travaux de transformation, d’agrandissement ou d’amélioration des parties communes reviennent à l’assemblée des copropriétaires par suffrage à majorité spéciale.
INTRODUCTION
Le 14 août 2014, dans Nadeau c. Bérubé [1], monsieur le juge François P. Duprat, j.c.s., a rendu une décision se penchant sur un cas d’exception à l’application du paragraphe 2 de l’article 1097 du Code civil du Québec :
Sont prises à la majorité des copropriétaires, représentant les trois quarts des voix de tous les copropriétaires, les décisions qui concernent :
1º Les actes d’acquisition ou d’aliénation immobilière par le syndicat ;
2º Les travaux de transformation, d’agrandissement ou d’amélioration des parties communes, ainsi que la répartition du coût de ces travaux ;
3º La construction de bâtiments pour créer de nouvelles fractions ;
4º La modification de l’acte constitutif de copropriété ou de l’état descriptif des fractions.
[Nos soulignements]I– LES FAITS
Il s’agit d’un litige entre deux copropriétaires vivant au sein d’une petite copropriété de 6 unités. Madame Nadeau reproche à madame Bérubé d’avoir effectué illégalement des modifications aux parties communes sans soumettre la décision à l’assemblée des copropriétaires à qui il revenait, ou non, d’autoriser les travaux par l’obtention de la majorité spéciale, soit de la majorité des copropriétaires représentant les trois quarts des voix de tous les copropriétaires.
On comprend du jugement que la copropriété est constituée depuis au moins 1994 puisque Mme Nadeau y vit depuis cette période. Aussi, il est rapporté que la majorité des copropriétaires soutient Mme Bérubé.
Le coeur du litige concerne l’absence de sortie secondaire dans l’unité de Mme Bérubé : « qui lui permettrait de quitter sa demeure, par exemple, en cas d’urgence. » Il est rapporté que Mme Bérubé s’inquiétant de la situation, elle communique avec un inspecteur de la Ville qui finira par délivrer un avis d’infraction pour l’unité de Mme Bérubé.
Suivant la réception de l’avis d’infraction de la Ville, daté du 14 juin 2010, Mme Bérubé entame les démarches nécessaires afin de rendre son unité conforme au Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements.
Mme Bérubé fait une demande de permis auprès de la Ville le 27 octobre 2010, avec plans d’architecture à l’appui. Avant d’accorder le permis, la Ville exige que Mme Bérubé obtienne « l’accord des copropriétaires ». La Cour se rapporte alors à un document signé selon lequel « quatre copropriétaires sur six ont donné leur accord au projet […] et qui représentent plus de 50 % de quote part (58,5 % exactement). Le permis est émis sur la base que la majorité des propriétaires sont d’accord avec le projet ». C’est à la réception du document que la Ville délivre le permis pour travaux.
Mme Bérubé entreprend les travaux le 22 novembre 2010. Elle installe une porte-fenêtre (« porte patio ») à l’arrière de son unité. Ce faisant, Mme Bérubé a nécessairement modifié les parties communes sans avoir préalablement obtenu l’autorisation requise auprès de l’assemblée des copropriétaires, ce qui est contraire à l’article 1097 C.c.Q. Durant les travaux, Mme Nadeau envoie une mise en demeure, puis demande une injonction. Dans l’intervalle, Mme Bérubé ne peut pas rendre l’immeuble conforme à la réglementation municipale, mais la Ville accepte de suspendre les procédures jusqu’au jugement.
Il est aussi important de noter qu’en dépit du fait que l’autorisation de faire les travaux n’a pas été donnée à Mme Bérubé par les copropriétaires réunis en assemblée, le syndicat a choisi, par la voix de son conseil d’administration, de ne pas entreprendre de procédure en injonction contre Mme Bérubé afin de l’empêcher d’effectuer les travaux.
La Cour divise le litige en quatre questions :
a) L’unité de Mme Bérubé est-elle conforme à la réglementation municipale ?
b) Mme Bérubé devait-elle obtenir l’autorisation des copropriétaires ?
c) La servitude d’apparence empêche-t-elle les travaux ?
d) Y a-t-il lieu, de part et d’autre, à des condamnations en dommage ?
Aux fins de ce texte, nous limiterons l’analyse aux deux premières questions.
II– LA DÉCISION
A. L’unité de Mme Bérubé est-elle conforme à la réglementation municipale ?
Advenant l’octroi de l’injonction contre Mme Bérubé, l’empêchant de ce fait d’installer la porte-fenêtre, la Ville devra entreprendre des procédures à son tour, « une contravention pourrait être donnée pour tous les jours où le problème persiste et, ultimement la Ville pourrait y aller de ses propres procédures judiciaires pour forcer la conformité ».
L’honorable juge Duprat conclut à la non-conformité de l’unité de Mme Bérubé au règlement municipal.
B. Mme Bérubé devait-elle obtenir l’autorisation des copropriétaires ?
La Cour est d’avis que les modifications entreprises par Mme Bérubé constituaient des travaux de transformation ou un agrandissement des parties communes. Quant à Mme Bérubé, elle reconnait qu’elle devait obtenir l’autorisation des copropriétaires pour effectuer les travaux comme le commande l’article 1097 C.c.Q.
Le tribunal reconnaît que l’obtention de l’approbation par vote tenu en assemblée de la majorité des copropriétaires représentant les trois quarts des voix était normalement requise. Il constate aussi que malgré les quatre assemblées qui se sont tenues en 2010 et en 2011, la majorité requise n’a jamais été atteinte. Toutefois, la cinquième assemblée, qui s’est tenue en cours d’audition le 9 janvier 2014, a réuni la majorité requise selon l’article 1097 C.c.Q. pour permettre à Mme Bérubé d’aller de l’avant avec son projet.
Mais ce qui est plus important pour les besoins de ce texte réside dans les paragraphes suivants de la décision, quoique constituant selon nous un obiter dictum :
[60] Le Tribunal ajoute que même si la preuve de l’approbation à la majorité des copropriétaires ne se trouvait pas au dossier, il aurait conclu qu’en l’espèce les dispositions de l’article 1097 C.c.Q. n’empêchent pas le projet de Madame Bérubé et ce, pour les raisons qui suivent. […] [66] Pour le Tribunal, prévoir des travaux pour se conformer à l’avis de la Ville n’est pas un travail de transformation au sens de l’article 1097 C.c.Q. Le Syndicat n’a pas le choix, ni l’assemblée des copropriétaires. Ce sont des travaux nécessaires à la conservation de l’immeuble.Le juge Duprat explique ainsi que dans les circonstances, la sécurité de l’immeuble étant en jeu, les dispositions de l’article 1097 C.c.Q. ne s’appliquaient pas puisqu’il s’agissait alors d’une décision que le syndicat de copropriété pouvait prendre par l’entremise de son conseil d’administration. Il différencie ainsi le type de travaux prévus à l’article 1097 C.c.Q. (transformation, agrandissement ou amélioration des parties communes) et les devoirs du syndicat de copropriété de veiller à la conservation de l’immeuble, à l’entretien et à l’administration des parties communes, ainsi qu’à la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble ou à la copropriété ainsi qu’à effectuer toutes les opérations d’intérêt commun (art. 1039 C.c.Q.).
Le tribunal en vient à la conclusion que, même si la nature des travaux revenait à transformer les parties communes, le but réel de ces travaux visait la conservation de l’immeuble. Or, les actes de conservation tels que les travaux de réparation ne sont pas visés par l’article 1097 C.c.Q. Puisque le conseil d’administration avait fini par approuver les travaux, ils étaient alors régulièrement autorisés et ne nécessitaient donc pas, selon la Cour, l’autorisation de l’assemblée des copropriétaires.
III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEUR
En premier lieu, l’auteur est d’avis qu’en l’absence d’issue de secours visant les parties communes de l’immeuble, c’est le syndicat et non Mme Bérubé personnellement qui aurait été visé par le recours de la Ville, d’autant plus qu’il n’appartenait pas à Mme Bérubé de prendre la décision de faire les travaux sans obtenir le consentement du syndicat (art. 1039, 1066 et 1077 C.c.Q.).
Deuxièmement, le jugement repousse les limites du pouvoir du conseil d’administration face aux pouvoirs des copropriétaires tenus en assemblée. En effet, le tribunal confère une portée large à l’article 1039 C.c.Q. et inversement limitative à l’article 1097 C.c.Q. La décision de la Cour revient à conclure qu’il revient à l’assemblée des copropriétaires de voter, à la majorité des copropriétaires représentant les trois quarts des voix de tous les copropriétaires, les décisions qui concernent les travaux de transformation, d’agrandissement ou d’amélioration des parties communes, pourvu que lesdits travaux ne soient pas requis pour la conservation de l’immeuble.
Il découle du jugement certaines questions et difficultés pour les syndicats de copropriété et les praticiens devant affronter la nécessité de procéder à des travaux de transformation, d’agrandissement ou d’amélioration aux parties communes qui visent la préservation de l’immeuble :
- En plus de définir la nature du projet comme constituant ou non des travaux (i) de transformation, (ii) d’agrandissement ou (iii) d’amélioration aux parties communes, il reviendra au conseil d’administration de déterminer si le projet vise ou non la conservation de l’immeuble. Le conseil d’administration, assez généralement composé de trois à cinq copropriétaires bénévoles, se voit ainsi en possession d’un pouvoir et de responsabilités d’autant plus importants qu’il lui revient aussi de déterminer la nature des travaux envisagés (réparation, transformation, agrandissement, amélioration), la nature des parties faisant l’objet des travaux (privatives ou communes) et à définir si les travaux sont requis pour la conservation de l’immeuble, le tout alors que les déclarations de copropriété ne fournissent généralement pas les indications suffisantes permettant d’effectuer le travail d’interprétation nécessaire ;
- Ce qui est transféré en pouvoir décisionnel au conseil d’administration est retiré aux copropriétaires réunis en assemblée. L’assemblée se retrouve non seulement à ne plus pouvoir voter sur une décision qui concerne tous les copropriétaires – et ce, alors qu’ils sont propriétaires indivis des parties communes à hauteur de leurs quotes-parts – mais le seul pouvoir qu’il leur reste, dans pareille situation, est celui d’être simplement consultés sur le budget des travaux à réaliser (art. 1072 C.c.Q.). Soulignons qu’il est reconnu par la doctrine que la consultation des copropriétaires sur le budget, à laquelle réfère l’article 1072 C.c.Q., ne lie pas le conseil d’administration.
- Le copropriétaire lésé par une décision prise en assemblée pouvait en demander l’annulation (art. 1103 C.c.Q.) pourvu que l’action soit prise sous 60 jours et en démontrant que la décision était prise dans l’intention de nuire, ou au mépris de ses droits ou en cas d’erreur de calcul des voix. Au contraire, le copropriétaire lésé par une décision du conseil d’administration devra plutôt soulever l’article 1102 C.c.Q. : « Est sans effet toute décision du syndicat qui, à l’encontre de la déclaration de copropriété, impose au copropriétaire une modification à la valeur relative de sa fraction, à la destination de sa partie privative ou à l’usage qu’il peut en faire. » Qu’en est-il lorsque la décision prise par le conseil d’administration d’entreprendre des travaux de transformation des parties communes afin de garantir la préservation de l’immeuble a pour effet de porter atteinte au droit d’un copropriétaire de jouir exclusivement d’une partie commune qui lui était jusqu’alors réservée ? Nous pouvons penser au balcon, à la terrasse ou encore à la Cour arrière dans le cas de Mme Nadeau. Le copropriétaire lésé se voit dépossédé du droit de réclamer l’annulation de la décision (art. 1103 C.c.Q.) puisqu’elle n’a pas été prise en assemblée, pas plus qu’il ne peut non plus la faire déclarer sans effet en vertu de l’article 1102 C.c.Q. qui sauvegarde seulement les droits d’un copropriétaire quant à la destination et à l’usage de sa partie privative et non de sa fraction de copropriété ou des parties communes. Le copropriétaire lésé devra-t-il alors prendre son recours en vertu du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure (art. 33 C.p.c.) ?
- Le conseil d’administration qui se voit face à la nécessité d’entreprendre des travaux de transformation dans les parties communes pour la conservation de l’immeuble a-t-il pour devoir de prendre la décision seul ? Commet-il une faute en déléguant la décision à l’assemblée des copropriétaires ? Est-il lié par le résultat obtenu ou bien le vote a-t-il une simple valeur consultative ? Le conseil d’administration qui se considère comme lié par le résultat obtenu en assemblée des copropriétaires est-il en faute en regard de ses obligations de conservation de l’immeuble ?
- Si le conseil d’administration peut décider seul d’entreprendre les travaux de transformation des parties communes lorsque la conservation de l’immeuble est en jeu, peut-il décider de la même façon, des actes d’acquisition ou d’aliénation immobilière par le syndicat [art. 1097(1) C.c.Q.] ? De modifier l’acte constitutif de copropriété [art. 1097(4) C.c.Q.] ? De construire de nouveaux bâtiments pour créer de nouvelles fractions [art. 1097(3) C.c.Q.] ? Pareillement, le conseil d’administration pourra-t-il prendre seul des décisions requérant une majorité des trois quarts des copropriétaires représentant 90 % de tous les copropriétaires dès lors que la conservation de l’immeuble est en jeu ?
CONCLUSION
Malgré la volonté de pallier les situations fréquentes de blocage créées par le formalisme des articles 1097 et 1098 C.c.Q., le principe d’interprétation des lois de l’effet utile, les tribunaux ne peuvent interpréter un article de loi de manière à ce que cela revienne ajouter ou à enlever un passage. N’eût-il été de la volonté du législateur de ne pas soumettre les travaux de transformation des parties communes au vote de l’assemblée des copropriétaires dès lors que lesdits travaux visaient à conserver l’immeuble, l’article 1097 C.c.Q. n’en aurait-il pas fait mention, ou la conjonction des articles 1039 et 1096 C.c.Q. est-elle vraiment suffisante pour passer outre ?
Plus encore, tel qu’il a été sommairement soulevé dans notre analyse, le chapitre sur la copropriété divise contenu dans le Code civil forme un tout complexe, chaque article s’imbriquant de manière à préserver l’équilibre entre les droits de chacun. De nombreux articles contenus au chapitre sur la copropriété divise sont reconnus d’ordre public. C’est plus particulièrement le cas des articles 1096 à 1098 C.c.Q. qui sont rendus impératifs et en regard desquels les copropriétaires ne peuvent pas s’entendre afin de changer les majorités indiquées compte tenu de l’article 1101 C.c.Q. :
« Est réputée non écrite toute stipulation de la déclaration de copropriété qui modifie le nombre de voix requis pour prendre une décision prévue par le présent chapitre. »
Compte tenu de ce qui précède, la préservation de l’équilibre des droits en copropriété requiert, selon nous, une interprétation restrictive des conclusions de la Cour en regard du pouvoir d’exception du conseil d’administration de décider de la transformation, de l’agrandissement ou de l’amélioration des parties communes sans se soumettre au vote de l’article 1097 C.c.Q.
Le jugement Nadeau c. Bérubé faisait état d’une situation spécifique, soit un défaut de sécurité en vertu de la réglementation municipale. Quoique le jugement n’en fasse pas état, il est reconnu qu’un règlement municipal peut s’appliquer nonobstant les droits acquis, ce qui est le cas notamment en matière de sécurité et d’environnement. Ainsi, le devoir du conseil d’administration d’effectuer des travaux de transformation aux parties communes est justifiable dans ces matières reconnues d’ordre public et à l’égard desquels il serait illogique dans une certaine mesure de permettre à l’assemblée des copropriétaires de ne pas s’y conformer en n’obtenant pas le nombre de voix requis. Il faut d’ailleurs noter que les majorités requises aux articles 1097 et 1098 C.c.Q. ne sont souvent pas obtenues non pas en raison d’une opposition des copropriétaires, mais par manque d’intérêt aux affaires de la copropriété ou encore en raison de la proportion de propriétaires-investisseurs en proportion du nombre de copropriétaires-occupants, ces derniers étant habituellement plus impliqués dans les affaires de l’immeuble qu’ils occupent.
* Me Bruno Bourdelin est avocat au sein du cabinet Fiset légal. Il concentre sa pratique en conseil et litige immobilier. Il assiste et conseille régulièrement les syndicats de copropriété, gestionnaires, promoteurs et copropriétaires dans la sauvegarde de leurs droits.
[1] EYB 2014-241036 (C.S.).
Mise à jour le Jeudi, 05 Février 2015 14:34