Ce commentaire a été originairement publié dans La référence, juillet 2015, Cowansville, Éditions Yvon Blais, EYB2015REP1749
Indexation
BIENS ; COPROPRIÉTÉ DIVISE D’UN IMMEUBLE ; DÉCLARATION DE COPROPRIÉTÉ ; CONTENU ; ASSEMBLÉE DES COPROPRIÉTAIRES ; DROITS ET LIBERTÉS ; CHARTE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE ; LIBERTÉS ET DROITS FONDAMENTAUX ; DROIT À LA JOUISSANCE ET À LA LIBRE DISPOSITION DE SES BIENS ; INVIOLABILITÉ DE LA DEMEURE
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
I– LES FAITS
II– LA DÉCISION
III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEUR CONCLUSION
Résumé
L’auteur commente cette décision de la Cour supérieure portant sur les majorités requises afin d’adopter validement une clause pénale en copropriété divise.
INTRODUCTION
Dans la décision Magne c. Le Martingal 1, le litige provient du règlement de copropriété du syndicat défendeur qui prévoit que tout occupant doit laisser un exemplaire des clés de son unité aux administrateurs du syndicat ou au gérant de l’immeuble. Afin de forcer le respect du règlement, une clause pénale est subséquemment ajoutée à la suite de l’adoption en assemblée des copropriétaires.
Les demandeurs invoquent dans un premier temps que l’obligation de remettre les clés est contraire aux articles 7 et 8 de la Charte des droits et libertés de la personne. L’argument est écarté au motif qu’il s’agit spécifiquement de troubles de jouissance prévus par le Code civil du Québec.
Les demandeurs font subsidiairement valoir qu’à tous égards, la clause pénale afférente n’a pas été adoptée de manière à ce qu’elle doive être invalidée. Cet argument n’est pas reconnu et la Cour supérieure vient fixer le débat quant aux majorités requises à l’adoption d’une clause pénale par la même occasion.
I– LES FAITS
L’assemblée annuelle des copropriétaires est convoquée en avril 2011, l’ordre du jour prévoyant un vote sur l’ajout d’un règlement visant l’imposition d’une pénalité en cas de défaut d’un copropriétaire de s’acquitter de ses obligations à la déclaration de copropriété.
L’argument des défendeurs fait référence à un débat doctrinal sur lequel les tribunaux ne s’étaient pas encore prononcés clairement jusqu’ici sous l’égide du Code civil du Québec, à savoir si l’adoption de clauses pénales relevait du règlement de l’immeuble ou de l’acte constitutif de copropriété. Les demandeurs s’appuient sur la décision Construction canadienne T.J. Québec c. Bertrand 2 :
Si, dès l’origine, tous les copropriétaires s’entendent pour que la déclaration de copropriété contienne une clause pénale pour sanctionner les obligations qui leur incombent, il n’y a évidemment pas de problème. Même sans cette unanimité, le fondement contractuel demeure dans les cas où un amendement est apporté à la déclaration de copropriété avec l’approbation de la double majorité prévue à l’article 442f, chaque copropriétaire ayant implicitement consenti aux modifications futures de la déclaration de copropriété. Bien entendu, cette modification doit, pour être faite conformément au premier paragraphe de l’article 441m C.C. [Nos soulignés]
Notons que cette décision était rendue sous l’égide du Code civil du Bas-Canada et que l’article 442f requérait la double majorité pour toute modification à la déclaration de copropriété, incluant le règlement de copropriété. Ce n’est plus le cas depuis l’adoption des articles 1096 et 1097 C.c.Q., la modification du règlement ne requérant plus que la simple majorité.
Or, au cours de l’assemblée d’avril 2011, le président de l’assemblée explique être d’avis que l’adoption de la clause pénale est une question relative à l’administration de la copropriété et qu’il revient ainsi à l’assemblée des copropriétaires à la simple majorité des voix (art. 1096 C.c.Q.) de l’adopter. Cette position implique donc qu’il ne s’agirait pas d’une modification de l’acte constitutif de copropriété, nécessitant un vote à la « majorité des copropriétaires, représentant les trois quarts des voix de tous les copropriétaires » et requérant l’inscription de la modification au bureau de la publicité des droits alors qu’une modification au règlement de l’immeuble ne nécessite que son « dépôt auprès du syndicat » selon l’article 1060, al. 1 C.c.Q.
Afin de comprendre l’origine du débat, il faut revenir aux articles 1052 à 1055 C.c.Q., l’article 1052 C.c.Q. établissant que la déclaration de copropriété est composée de trois parties : (1) l’acte constitutif de copropriété, (2) le règlement de l’immeuble et (3) l’état descriptif des fractions.
L’article 1053 C.c.Q. établit ce que doit contenir l’acte constitutif de copropriété :
L’acte constitutif de copropriété définit la destination de l’immeuble, des parties privatives et des parties communes.
Il détermine également la valeur relative de chaque fraction et indique la méthode suivie pour l’établir, la quote-part des charges et le nombre de voix attachées à chaque fraction et prévoit toute autre convention relative à l’immeuble ou à ses parties privatives ou communes. Il précise aussi les pouvoirs et devoirs respectifs du conseil d’administration du syndicat et de l’assemblée des copropriétaires. [Nos soulignés]
En parallèle, l’article 1054 C.c.Q. prévoit ce que doit contenir le règlement de l’immeuble :
Le règlement de l’immeuble contient les règles relatives à la jouissance, à l’usage et à l’entretien des parties privatives et communes, ainsi que celles relatives au fonctionnement et à l’administration de la copropriété.
Le règlement porte également sur la procédure de cotisation et de recouvrement des contributions aux charges communes. [Nos soulignés]
La question était donc de déterminer si la clause pénale constitue une « convention relative à l’immeuble » devant donc se retrouver à l’acte constitutif, ou bien constitue une « procédure de cotisation et de recouvrement des contributions aux charges communes » devant ainsi se retrouver au règlement de l’immeuble.
Certains auteurs interprétaient alors l’article 1053 C.c.Q. de manière à conclure que la pénalité était une « convention relative à l’immeuble ou à ses parties privatives ou communes ».
Si la clause pénale est une convention relative à l’immeuble, il faut alors modifier l’acte constitutif de copropriété et c’est donc la double majorité de l’article 1097 C.c.Q. qui est requise. Cet article se lit comme suit :
Sont prises à la majorité des copropriétaires, représentant les trois quarts des voix de tous les copropriétaires, les décisions qui concernent :
[…]
4o La modification de l’acte constitutif de copropriété ou de l’état descriptif des fractions.
Au contraire, s’il s’agit d’une procédure de cotisation et de recouvrement des contributions aux charges communes, il s’agit plutôt de modifier le règlement de l’immeuble.
L’article 1096 C.c.Q. prévoit en effet ce qui suit :
Les décisions du syndicat sont prises à la majorité des voix des copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée, y compris celles visant à corriger une erreur matérielle dans la déclaration de copropriété.
La question à laquelle le tribunal doit répondre est donc la suivante : est-ce que « la modification de la déclaration de copropriété, pour y inclure une clause pénale, doit s’effectuer à l’acte constitutif ou au règlement de l’immeuble » ? Si la modification doit s’effectuer à l’acte constitutif, la modification est invalide et la résolution doit être annulée.
TABLEAU RÉCAPITULATIF | Si la clause pénale est admissible à une « convention relative à l’immeuble » ou si elle « précise les pouvoirs et devoirs respectifs du conseil d’administration du syndicat et de l’assemblée des copropriétaires » | Si la clause pénale est admissible à une « procédure de cotisation et de recouvrement aux charges communes » ou si elle constitue l’une des « règles relatives au fonctionnement et à l’administration de la copropriété » |
PARTIE DE LA DÉCLARATION DE COPROPRIÉTÉ À MODIFIER | Acte constitutif de copropriété, article 1053 C.c.Q. | Règlement de l’immeuble, article 1054 C.c.Q. |
MAJORITÉ REQUISE | Majorité des copropriétaires représentant les trois quarts des voix de tous les copropriétaires, article 1097 C.c.Q. | Majorité des voix des copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée, article 1096 C.c.Q. |
FORMALITÉS À RESPECTER | Les modifications à l’acte constitutif de copropriété sont :- signées par le syndicat, 1059 C.c.Q.;- notariées et en minute, 1059 C.c.Q.;- présentées au bureau de la publicité des droits sous le numéro d’immatriculation des parties communes, article 1060 C.c.Q. | Les modifications apportées au règlement de l’immeuble sont simplement déposées au registre du syndicat, 1060 C.c.Q. |
II– LA DÉCISION
L’argument des demandeurs étant que la clause pénale conférait un pouvoir additionnel au conseil d’administration du syndicat, il s’agissait donc nécessairement d’une modification de l’acte constitutif de copropriété.
Le tribunal reconnaît que les pouvoirs du conseil d’administration tels qu’énumérés à l’acte constitutif de copropriété ne comprennent pas spécifiquement le pouvoir d’imposer une pénalité à un copropriétaire défaillant, mais il ajoute que le syndicat a toutefois le « pouvoir de proposer l’adoption de règlements relatifs à la conduite de la copropriété, à la condition que ceux-ci soient ratifiés par l’assemblée des copropriétaires ».
Le tribunal appuie sa position sur le fait que l’alinéa 2 de l’article 1054 C.c.Q. « expose que le règlement de l’immeuble a pour objet la procédure de cotisation et de recouvrement des contributions des copropriétaires ». Il conclut ainsi qu’une clause pénale « est assimilable à une procédure de cotisation et de recouvrement des charges communes, de sorte que rien n’empêchait les copropriétaires de convenir de son adoption par voie de règlement, conformément à l’article 1096 C.c.Q. ».
III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEUR
Ce jugement contribue à une tendance des tribunaux à réduire le formalisme relatif à la gestion et à l’administration du syndicat de copropriété et de sa déclaration.
Les copropriétaires auront aussi tout intérêt à se présenter à leurs assemblées de copropriétaires si l’ordre du jour prévoit l’adoption d’une clause pénale. Par son adoption à la majorité absolue, selon les cas, une poignée de copropriétaires présents pourrait décider de l’ajout d’une clause pénale.
Notons finalement qu’il reste à déterminer si les tribunaux valideraient une clause à la déclaration de copropriété prévoyant que les pénalités et amendes imposées constituent des charges communes. Une telle clause permettrait en théorie un pouvoir important au syndicat de copropriété puisqu’elle lui permettrait d’inscrire une hypothèque légale sur la fraction du copropriétaire pour les pénalités impayées (2729 C.c.Q.), en plus de lui en garantir le paiement par le nouvel acquéreur de la fraction (1069 C.c.Q.).
CONCLUSION
Ce jugement éclaire tant les praticiens que les copropriétaires, administrateurs et gérants de copropriétés divises sur le mode d’adoption des clauses pénales, facilitant ainsi l’administration et la gestion de certains comportements en copropriété. L’imposition de clauses pénales constitue une mesure coercitive importante visant à obtenir la coopération des copropriétaires. Le jugement va ainsi fournir des solutions et une stabilité contractuelle à de nombreux syndicats jusqu’ici incapables d’obtenir les doubles majorités requises afin de modifier l’acte constitutif.
Lorsqu’un copropriétaire ne coopère pas, son syndicat de copropriété peut se prévaloir de la clause pénale et lui imposer le paiement des pénalités. Avec l’augmentation du plafond de réclamation à la division des petites créances à 15 000 $, les clauses pénales peuvent s’avérer une mesure efficace et simple d’application, évitant les coûts inhérents de l’entreprise de procédures en injonction dans les cas qui s’y prêtent. On peut penser notamment aux cas de non-paiement des charges communes pour lesquels les syndicats voudront ajouter une clause de remboursement des honoraires extrajudiciaires pour l’ensemble des démarches entreprises. On peut aussi penser aux cas de nuisances causées par un copropriétaire, ses locataires, ses occupants ou leurs animaux. La simplification du processus d’adoption des clauses pénales constituera aussi un atout majeur pour les copropriétés faisant face aux problèmes de location court-terme, avec les difficultés et risques inhérents à ce type de location.
1. EYB 2015-252917 (C.S.).
2. [1994] R.J.Q. 1101, 1105, REJB 1994-28707. Date de dépôt : 14 juillet 2015