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Cinq jugements récents en droit de la copropriété à connaitre

Me Sébastien Fiset, avec la collaboration de Monsieur Laurent Fournier, étudiant en droit

Impossible de ne pas remarquer la cadence à laquelle se créent de nouveaux projets de condominiums au Québec, encore plus particulièrement en zone urbaine. Il faut dire que les condos offrent des avantages indéniables. En séparant les frais d’entretien et d’amélioration de l’immeuble entre plusieurs copropriétaires, ceux-ci sont plus facilement en mesure d’avoir accès à la propriété, tout en pouvant bénéficier d’avantages qu’eux seuls n’auraient pu obtenir. Toutefois, en faisant le choix de vivre en copropriété, les copropriétaires doivent s’attendre à ce que leurs volontés individuelles puissent être limitées par la volonté collective des copropriétaires. Malheureusement, une telle situation est trop parfois propice à la naissance de litiges entre les copropriétaires ou encore avec le syndicat de copropriété. Voici donc quelques exemples récents tirés de la jurisprudence en droit de la copropriété qui pourraient vous aider à trouver des solutions à vos problèmes.

Les risques afférents à ne pas se conformer aux décisions du Syndicat

Le syndicat de copropriétés peut entamer une procédure au tribunal contre le copropriétaire lui demandant de se conformer aux décisions du syndicat. Dans le cadre de poursuites, le syndicat de copropriété peut également demander des dommages et intérêts.

Finalement, une récente décision de la Cour supérieure du Québec nous rappelle que le copropriétaire qui s’oppose à une décision valablement prise par le Syndicat de copropriété peut s’exposer à des pertes financières considérables. Dans Syndicat des copropriétaires du 6381-20e Avenue c. Jouzkiv[1], le Syndicat avait pris la décision de procéder au remplacement des fenêtres de l’immeuble puisque la plupart d’entre elles présentaient des signes d’usure et, de ce fait, étaient susceptibles de causer des dommages aux parties communes. Une copropriétaire s’opposait au remplacement des fenêtres de son unité sous prétexte que ces dernières fonctionnaient sans problème et que les changements apportés lui causeraient des dépenses de réaménagement intérieur de l’ordre de 15 000$. D’une part, la copropriétaire récalcitrante refusait tout accès à sa partie privative afin de procéder aux travaux et, d’autre part, elle refusait de payer la cotisation spéciale approuvée par le Syndicat pour ledit remplacement. Or, en vertu de la déclaration de copropriété de ce syndicat, les fenêtres de l’immeuble étaient des parties communes à usage restreint, mais toute décision concernant ces parties communes relevait du Syndicat de copropriété et non pas du ou des copropriétaires qui en ont l’usage exclusif. Fait important à noter, le Tribunal a reconnu que la décision du Syndicat était valide puisque le remplacement de fenêtres usées correspond à un geste de conservation et non d’amélioration de l’immeuble. Autrement dit, lorsqu’il s’agit de décisions visant la conservation de l’immeuble, le conseil d’administration est apte à décider sans le consentement personnel des copropriétaires, et ce, même si les travaux avaient exclusivement visé des parties privatives. La Cour a donc émis une injonction enjoignant la copropriétaire à donner accès à son unité privative ainsi qu’aux parties communes dont elle a l’usage restreint afin de ne pas entraver l’exécution des travaux de remplacement par le Syndicat, le tout à ses frais.

La destination de l’immeuble

Dans l’affaire Dellandrea c. Syndicat des copropriétaires des Tours du Château, phase 1[2], le Syndicat de copropriété avait conclu un bail d’emplacement sur le toit de l’immeuble avec la compagnie de télécommunications Telus. Il était convenu que Telus utiliserait l’espace afin d’y installer des dispositifs et des accessoires fixes d’exploitation requis pour ses activités. Un vote fut tenu à l’assemblée des copropriétaires à cet effet, récoltant l’appui la majorité des copropriétaires représentant plus de 80% des voix. Or, une des copropriétaires a sollicité l’intervention de la Cour pour l’annulation de cette résolution, le tout au motif que le contrat de bail conclu avec Telus modifiait la destination de l’immeuble et, de ce fait, nécessitait l’approbation de 75% des copropriétaires, représentant 90% des voix des copropriétaires en vertu de l’article 1098 du Code civil du Québec. La Cour a réitéré le courant jurisprudentiel qui interprète le concept même de la destination de l’immeuble de manière large. Ainsi, de nombreux facteurs doivent être pris en considération afin de déterminer si la destination de l’immeuble a bel et bien été modifiée. Dans cette affaire, puisque, d’une part l’équipement de Telus était situé dans un endroit inaccessible aux copropriétaires et, d’autre part, seules deux visites d’un employé de Telus eurent lieu en trois ans, la Cour supérieure a rejeté la demande d’annulation de la résolution.

L’assurance du Syndicat de copropriété ou celle des copropriétaires ?

Au mois de mai dernier, la Cour supérieure du Québec rendait un jugement dans lequel elle réitérait le principe selon lequel le Syndicat de copropriété doit épuiser ses recours contre son propre assureur avant de se tourner contre les copropriétaires. Dans l’affaire Syndicat des copropriétaires du condominium Verrières VI c. Maddalon[3], le Syndicat poursuivait les deux copropriétaires d’une unité pour le remboursement du montant total des dommages subis en raison d’une fuite d’eau. La poursuite était également intentée contre l’assureur des deux copropriétaires. L’assureur du Syndicat avait nié couverture en fondant sa décision sur une clause ambigüe de la police d’assurance, soit que les dommages se qualifiaient comme une détérioration graduelle. Or, la preuve a révélé que ni l’assureur ni son expert en sinistre n’ont enquêté sur la cause du sinistre. Devant de tels faits, il était de la responsabilité du Syndicat d’exercer ses droits contre l’assureur. Or, ce dernier a plutôt préféré lui demander une lettre de négation de couverture pour mieux se rabattre contre l’un des copropriétaires. L’assurance souscrite par le Syndicat doit être considérée comme une assurance de première ligne, l’assurance des copropriétaires devant être sollicitée que dans les cas d’absence ou d’insuffisance de couverture. Par conséquent, la Cour a rejeté la demande du Syndicat, avec les frais de justice.

Attention à l’intolérance vis-à-vis vos voisins

S’il est toujours important de prendre en considération le voisinage d’une propriété avant d’en faire l’acquisition, cette vigilance est d’autant plus de mise dans le contexte d’une copropriété divise. Bien que tous n’aient pas les mêmes seuils de tolérance face aux bruits ou encore aux odeurs, il demeure qu’il faille demeurer raisonnable avant de vous plaindre du comportement de vos voisins. Dans l’affaire Noël c. Lapointe[4], des copropriétaires recevaient des plaintes et des menaces constantes de leurs voisins en raison des bruits soi-disant excessifs qui provenaient de leur unité. Or, les comportements reprochés étaient des activités auxquelles la grande majorité des gens s’adonnent dans leur habitation, comme inviter de la parenté pour célébrer une fête ou encore profiter des beaux jours d’été en discutant sur son balcon entre amis. Épuisés de ces représailles injustifiées, les copropriétaires se sont adressés à la Cour pour l’émission d’une injonction permanente dans le but d’empêcher leurs voisins de continuer à leur faire subir leur intransigeance. La Cour en est venue à la conclusion que ceux-ci avaient manqué à leur obligation de tolérer les inconvénients normaux du voisinage, comme prévu à l’article 976 du Code civil du Québec. Le tribunal a conséquemment acquiescé à la demande d’injonction permanente contre les voisins, en leur ordonnant de cesser de menacer, intimider, harceler ou autrement importuner les demandeurs, le tout, en plus de les condamner au paiement de dommages-intérêts compensatoires et punitifs. Ainsi, mieux vaut tolérer les inconvénients normaux du voisinage que de devenir intolérables.

La transmission des droits du promoteur au Syndicat

Avant que la prise en charge de la copropriété soit formellement transmise à un conseil d’administration indépendant du promoteur, ce dernier en assure l’administration provisoire et, à ce titre, conclut plusieurs contrats avec des tiers au nom et à l’avantage de la copropriété. Règle générale, en droit québécois des contrats, les obligations contractuelles qui en découlent n’ont d’effet qu’entre les parties au contrat. Ainsi, en théorie, le Syndicat de copropriété ne pourrait poursuivre en justice les cocontractants du promoteur ou de l’entrepreneur général. Ce n’est toutefois pas toujours le cas. Dans Compagnie d’assurances Missisquoi c. Constructions Reliance inc.[5], l’assureur du Syndicat désirait poursuivre l’entrepreneur général de la copropriété, Reliance, pour les dommages causés par un de ses sous-traitants, soit la compagnie chargée des travaux de peinture de l’immeuble. Reliance plaidait qu’il n’y avait pas de lien contractuel entre le sous-traitant et le Syndicat et que, par conséquent, le Syndicat n’avait pas de recours contractuel contre elle. Cette théorie fut rejetée par la Cour, laquelle considère plutôt que les droits de l’entrepreneur général avaient été transmis au Syndicat. Ce raisonnement se fonde sur l’article 1442 du Code civil du Québec qui prévoit que les droits des parties à un contrat sont transmis à leurs ayants cause à titre particulier s’ils constituent l’accessoire d’un bien qui leur est transmis ou s’ils lui sont intimement liés. Autrement dit, le droit de l’entrepreneur de poursuivre ses sous-traitants est transmis au Syndicat puisque ce droit personnel est intimement lié au bien transmis, soit l’immeuble détenu en copropriété divise. Fait également important à noter, la Cour a réitéré le principe selon lequel le Syndicat peut poursuivre une personne même s’il n’est pas une partie au contrat ou n’a aucun droit de propriété dans l’immeuble en vertu de l’article 1081 du Code civil du Québec. Toutefois, une action intentée en vertu de cet article doit se fonder sur un vice caché, un vice de conception ou de construction de l’immeuble ou encore un vice du sol.

[1] Syndicat des copropriétaires du 6381-20e Avenue c. Jouzkiv [2017] QCCS 1085.

[2] Dellandrea c. Syndicat des copropriétaires des Tours du Château, phase 1, [2017] QCCS 248.

[3] Syndicat des copropriétaires du condominium Verrières VI c. Maddalon, [2018] QCCS 2312.

[4] Noël c. Lapointe, [2017] QCCS 3939.

[5] Compagnie d’assurances Missisquoi c. Constructions Reliance inc., [2018] QCCS 1049.

 

Me Sébastien Fiset
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