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Commentaire sur la décision Syndicat des copropriétaires du Sir George Simpson c. Langleben – Le début du casse-tête en matière de location court-terme en contexte de copropriété divise ?

Ce commentaire a été originairement publié dans La référence, décembre 2016, Cowansville, Éditions Yvon Blais, EYB2016REP2090

 

Commentaire sur la décision Syndicat des copropriétaires du Sir George Simpson c. Langleben – Le début du casse-tête en matière de location court-terme en contexte de copropriété divise ?

Indexation

LOUAGE ; BAIL D’UN LOGEMENT ; RÉSILIATION DU BAIL ; EXÉCUTION EN NATURE ; EXPULSION DU LOCATAIRE ; BIENS ; COPROPRIÉTÉ DIVISE D’UN IMMEUBLE ; FRACTIONS ; DÉCLARATION DE COPROPRIÉTÉ ; CONTENU ; DROITS ET OBLIGATIONS DES COPROPRIÉTAIRES ET DU SYNDICAT ;  OBLIGATIONS ; CLASSIFICATION SELON L’OBJET ; OBLIGATION DE NE PAS FAIRE ; CONTRAT ; EFFETS À L’ÉGARD DES TIERS ; SIMULATION ; EXÉCUTION

; PROCÉDURE CIVILE ; VOIES PROCÉDURALES PARTICULIÈRES ; MESURES PROVISIONNELLES ET DE CONTRÔLE ; INJONCTION PERMANENTE ; JUGEMENT ; RÈGLES RELATIVES AU JUGEMENT ; NOTION DE JUGEMENT SUSCEPTIBLE D’EXÉCUTION ; COMPÉTENCE DES TRIBUNAUX ; COMPÉTENCE D’ATTRIBUTION DE LA COUR SUPÉRIEURE ; PROCÉDURE CONTENTIEUSE ; CONTESTATION ; MOYENS PRÉLIMINAIRES ; MOYENS DÉCLINATOIRES ; COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE ; DROITS ET LIBERTÉS ; CHARTE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE ; LIBERTÉS ET DROITS FONDAMENTAUX ; DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ; DROIT À LA JOUISSANCE ET À LA LIBRE DISPOSITION DE SES BIENS ; INVIOLABILITÉ DE LA DEMEURE

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

I– LES FAITS

II– LA DÉCISION

  1. Le premier bail contrevient-il à la destination de l’immeuble  ?
  2. L’argument relatif au règlement d’immeuble et à l’interdiction de louer qui y est  contenue
  3. Le règlement d’immeuble n’empêche pas l’occupation pour un terme de moins d’un an b) Il s’agit d’un cas ne se prêtant pas à l’exécution en    nature
  4. La demande d’injonction permanente

III– LE COMMENTAIRE DES AUTEURS

CONCLUSION

Résumé

Les auteurs commentent cette décision fort médiatisée dans laquelle le syndicat de copropriété administrant l’immeuble fait valoir que le type d’occupation auquel se livre    le propriétaire de la partie privative dans laquelle est hébergée une célèbre actrice est contraire à la déclaration de copropriété et à ses règlements.

INTRODUCTION

Comme établi par la Cour d’appel dans l’arrêt Kilzi 1, un syndicat de copropriété a le pouvoir de restreindre les droits d’un copropriétaire de louer sa partie privative, sans toutefois pouvoir l’interdire.

Fortes de cet enseignement et face au succès des sites d’hébergement, et afin de se prémunir contre les inconvénients qui en résultent, les copropriétés à destination résidentielle ont multiplié l’adoption de règlements visant à restreindre les conditions de location, comme c’est le cas du syndicat demandeur dans cette affaire.

Dans la décision Syndicat des copropriétaires du Sir George Simpson c. Langleben 2, le syndicat requiert du tribunal l’émission d’ordonnances visant à mettre un terme à l’occupation par l’actrice, les défendeurs ayant conclu un bail contrevenant à l’interdiction, contenue au règlement d’immeuble, de louer une partie privative d’habitation pour une période de moins de douze mois.

I – LES FAITS

Le demandeur est un syndicat de copropriété régi par sa déclaration de copropriété, publiée le 12 août 2009 (la « Déclaration). Celle-ci contient une clause limitant les durées de location à un minimum d’une année  :

  • Article 100. La jouissance et l’usage des parties privatives sont assujettis    aux conditions suivantes :
  • la location des fractions est autorisée. Toutefois, la location répétée d’une partie privative d’habitation différentes pour des périodes de moins d’un (1) an est interdite. La transformation des parties privatives en chambres destinées à être louées à des personnes distinctes est interdite.                La vente d’une partie privative de stationnement à toute personne non-copropriétaire est interdite. […]                                                                                       [Nos caractères gras]

La clause est remplacée au début mai 2016 de la manière suivante   :

  • Article 100. La jouissance et l’usage des parties privatives sont assujettis    aux conditions suivantes :
  • la location des fractions est autorisée. Toutefois, la location d’une partie privative d’habitation pour des périodes de moins d’un (1) an est interdite. La transformation des parties privatives en chambres destinées à être louées à des personnes distinctes est interdite. La vente d’une partie privative de stationnement à toute personne non copropriétaire est interdite.                               La location d’une partie privative de stationnement à toute personne qui n’est pas un copropriétaire ou un résident de l’immeuble est interdite.  […]                         [Nos caractères gras]

Les défendeurs Langleben (ci-après les « propriétaires ») sont propriétaires d’une fraction de copropriété au sein de l’immeuble depuis 2009.

Quant à la codéfenderesse Day6 (ci-après la « locataire »), il s’agit d’une compagnie de production qui a conclu un bail avec les propriétaires, le 20 mai 2016, pour un terme de trois mois (ci-après « le premier bail »), afin de louer la partie privative et le stationnement aux propriétaires, le tout afin d’y loger l’actrice (ci-après « l’actrice »).      Un second bail sera conclu le 30 mai 2016 (ci-après « le second bail ») entre les propriétaires et le locataire, cette fois pour un terme d’un an. Dans les faits, il est admis    que ce second bail est signé entre les propriétaires et le locataire après l’institution des procédures.

Dès la conclusion du premier bail, les administrateurs du syndicat sont avisés de son existence alors qu’il enfreint les termes de l’article 100(1) du règlement adopté en 2016

Il est à souligner que l’actrice est présentée auprès du syndicat comme étant un membre de la famille des propriétaires, ce qui se révèle inexact, et qu’elle sera accompagnée d’une équipe au sein de l’immeuble, dont un chauffeur personnel, une secrétaire et un garde du corps.

Dès le 1er juin 2016, une lettre de mise en demeure est transmise par le syndicat aux propriétaires et au locataire. On y souligne l’interdiction contenue au règlement d’immeuble quant à la location pour une durée de moins d’un an (art. 100(1)), ainsi que l’article 157 y prévoyant, notamment, que les dispositions contenues au chapitre 4 (art. 156 à 159) et concernant la location des fractions s’appliquent « à tous les tiers occupant une fraction, en raison d’un bail ou de toute autre convention ». L’article  100(1) n’est toutefois pas contenu au chapitre 4 et il n’existe aucun article limitant la durée de location des fractions dans ce chapitre.

À la suite de la réception de la mise en demeure, les propriétaires déclarent qu’ils modifieront le premier bail pour un terme d’un an 3. Suivant cette déclaration, le second   bail est conclu entre les propriétaires et le locataire pour une année, soit du 1er  juin 2016 au 31 mai 2017. Ce à quoi le syndicat répond que si le second bail est conclu      pour une année avec possibilité de résilier après trois mois, il s’agit toujours d’un bail enfreignant le règlement d’immeuble.

Le syndicat ajoute que cette location constitue une activité commerciale et est contraire à la destination de l’immeuble. Il cherche ainsi à faire déclarer le bail nul, à expulser les occupants et à interdire aux défendeurs de permettre l’occupation de leur unité pour toute période de moins de 12 mois. Les principales conclusions sont rédigées comme suit :

  • DECLARE the first lease 20 May 2016 null and void, or subsidiarily resiliated, and unopposable to Plaintiff.
  • […]
  • ISSUE an injunction ordering defendants and co-defendant NOT TO ALLOW any of the persons that co-defendant DAY6 Film Production inc. has as occupants of Unit […] including a third person known by all parties as “F. Oswald”, to remain or continue to occupy Unit […].
  • PERMIT any bailiff of the province of Québec to serve the present proceedings by whatever means, and outside legal hours, including under the door, and also PERMIT any bailiff o the province of Québec, accompanied by a witness, to enter unit […] and evict any occupant who is either under the supervision of co- defendant Day6 Film Production or the person known to all parties herein as “F. Oswald”.

II – LA DÉCISION

En premier lieu, il est à noter que la Cour se prononce sur sa compétence quant à la demande d’annulation ou de résiliation du premier bail résidentiel demandé par le syndicat. Le fait que le bail soit conclu avec une compagnie (le locataire) ne la disqualifie pas pour autant à titre de bail résidentiel. Il faut se pencher sur les fins recherchées, soit ici de louer à des fins d’habitation.

Compte tenu des articles 33 al. 2 et 509 C.p.c., la Cour supérieure est la seule compétente à entendre le recours en injonction permanente. En ce qui concerne la demande d’annulation du premier bail d’une durée de trois mois, la Régie du logement aurait dû être reconnue compétente. Mais dans ce cas d’espèce, il est expliqué  que, le montant en jeu dépassant le montant de la compétence de la Cour du Québec, c’est la Cour supérieure qui est compétente 4.

La Cour se penche ensuite sur la question de la simulation entre le premier et le second bail, décidant toutefois ne pas avoir besoin de trancher la question en premier  lieu. La Cour analyse donc si le recours fondé sur le premier bail est justifié. Subsidiairement, et si la réponse est affirmative, alors la Cour tranchera la question de la simulation, qui se présente comme suit  :

  • Soit il y a simulation et le syndicat peut alors se prévaloir, à son choix, du premier bail pour en demander l’annulation ;
  • Soit il n’y a pas simulation, et le second bail est celui en vigueur, « le tribunal ne pouvant spéculer quant à savoir si les parties y mettront fin après le départ de la célèbre occupante ».

A. Le premier bail contrevient-il à la destination de l’immeuble?

La Cour se penche d’abord sur l’argument du syndicat selon lequel la location à laquelle se prêtent les défendeurs est de nature commerciale, étant ainsi contraire à la destination exclusivement résidentielle de l’immeuble, permettant toutefois et sous certaines conditions l’exercice d’une profession libérale ou d’une autre activité qui ne donne lieu à la visite de clientèle que de manière occasionnelle.

La Cour explique qu’il n’y a aucune preuve au dossier établissant que la fraction des propriétaires est utilisée à d’autres fins que résidentielles.

Quant aux clauses du règlement d’immeuble établissant que les copropriétaires, locataires, occupants et leurs invités ne doivent pas troubler la tranquillité de l’immeuble,      la Cour est d’avis que les allées et venues dans l’immeuble de personnes au service de l’actrice ne constituent pas, à elles seules, une infraction au règlement d’immeuble sans que le personnel en question ait effectivement troublé la tranquillité des autres résidants, ce qui n’est pas allégué 5.

Notons par ailleurs que dans une section ultérieure, la Cour reprend les enseignements de l’arrêt Kilzi voulant que la location pour de courtes périodes ne constitue pas nécessairement une activité commerciale, il faut ainsi se demander si la fraction louée est véritablement utilisée à des fins d’y résider ou plutôt d’y tenir un commerce.

  1. L’argument relatif au règlement d’immeuble et à l’interdiction de louer qui y est contenue

a) Le règlement d’immeuble n’empêche pas l’occupation pour un terme de moins d’un an

Advenant que le bail soit déclaré nul, les propriétaires ont déclaré qu’ils permettraient à l’actrice de résider dans leur unité sans frais et à titre d’invitée. Elle aurait ainsi un statut d’occupante par opposition au statut actuel de locataire  6.

L’interdiction de louer pour des périodes inférieures à un an est prévue à l’article 100 de la déclaration de copropriété. Cet article se situe dans la seconde partie de la déclaration de copropriété intitulée « règlement de l’immeuble  ».

Après l’analyse de l’article 100 par rapport au reste des clauses relatives à la location et à l’occupation contenues à la déclaration de copropriété, la Cour conclut que l’occupation, par opposition à la location, d’une fraction pour une période inférieure à un an n’est pas interdite. Elle ajoute par ailleurs que « le sens commun confirme sans équivoque que les Langleben ou leur locataire peuvent recevoir dans leur partie privative, qui constitue leur demeure, les personnes, les occupants, les visiteurs, les invités et les clients pour la période qu’ils désirent selon leur discrétion pourvu que ceux-ci respectent le règlement de l’immeuble ».

La Cour souligne par ailleurs que, de la manière dont la déclaration de copropriété a été rédigée, les articles relatifs aux conditions de location des fractions de copropriété ne s’appliquent pas à l’occupation. Comme soulevé plus tôt, l’article 100 du règlement d’immeuble relativement à la limite de durée de location ne s’applique pas à tous les tiers et occupants. En effet, cette clause n’est pas contenue au chapitre 4 qui vise à s’assurer que les clauses qui y sont contenues trouvent application à l’égard des occupants et autres tiers.

Ainsi, advenant que le bail soit déclaré nul, les propriétaires pourraient toujours permettre à l’actrice d’occuper l’appartement à titre gratuit. Cela amène la Cour à exprimer que, advenant une telle situation, rien ne pouvait empêcher les propriétaires de procéder ainsi compte tenu des droits conférés par les articles 5 à 8 de la Charte des droits et libertés de la  personne.

b) il s’agit d’un cas ne se prêtant pas à l’exécution en nature

La Cour se penche ensuite sur la question de l’exécution en nature de l’interdiction de louer. Sur ce point, elle considère qu’il ne s’agit pas d’un cas permettant l’exécution en nature tel que le requiert l’article 1601 du Code civil du Québec.

Tout d’abord, la Cour rappelle que, pour être opposable au locataire ou à l’occupant d’une partie privative, un exemplaire du règlement d’immeuble doit lui être remis 7. À    cet effet, elle exprime que rien ne permet de conclure, par la lecture de l’article 1057 C.c.Q., que cette opposabilité puisse être rétroactive ni rétrospective, tandis que rien n’empêche le règlement de l’immeuble de prévoir une clause obligeant le copropriétaire de fournir une copie de son bail, sous peine d’une pénalité.

Par ailleurs, la Cour ajoute que rien ne permet de conclure qu’au moment de conclure le premier bail, le locataire avait connaissance de la restriction de location, qu’elle avait obtenu copie du règlement « ou qu’elle était de mauvaise foi », le tout alors que la bonne foi se présume.

Au contraire, la Cour explique que l’octroi de l’annulation ou de la résolution du bail, et l’expulsion du locataire reviendraient à porter atteinte aux droits d’un tiers de bonne    foi, ce qui constitue un cas ne permettant pas de prononcer l’exécution en nature.

c) La demande d’injonction permanente

Quant au véhicule procédural que constitue l’injonction permanente, la Cour reprend les propos du juge Robert J. Sharpe, de la Cour d’appel de l’Ontario pour déterminer qu’il revient à la Cour de considérer la « balance of hardship » dans sa décision de l’accorder ou non, dès lors que la violation a déjà été commise 8.

Par ailleurs, la Cour explique que l’absence de lien de droit entre le syndicat et Day6 est un critère additionnel motivant le refus d’accorder l’injonction. Il est donc expliqué que le syndicat ne peut pas résilier un bail auquel il n’est pas partie.

La Cour reconnaît pourtant que l’article 1079 C.c.Q. établit une telle possibilité de résiliation du bail pouvant être demandée par le syndicat « lorsque l’inexécution d’une obligation par le locataire cause un préjudice sérieux à un copropriétaire ou à un autre occupant de l’immeuble ». À cet égard, la Cour explique que le syndicat n’invoque  pas cet article et que, à tous égards, il aurait été difficile pour lui de faire la preuve du préjudice sérieux causé par le locataire.

Finalement, et compte tenu du fait que la Cour conclut que le syndicat n’était pas autorisé à demander l’annulation du premier bail, il n’est donc pas utile de se pencher    sur la question de la  simulation.

III – LE COMMENTAIRE DES AUTEURS

Ce jugement présente un intérêt particulier en ce qu’il traduit les difficultés auxquelles font face les syndicats de copropriété qui souhaitent limiter la durée de location des fractions. Les syndicats, représentant la collectivité des copropriétaires, font face à un dilemme revenant à devoir préserver une multiplicité d’intérêts divergents. Ainsi, les syndicats de copropriété doivent voir à la bonne administration et à la préservation des parties communes, ainsi qu’aux opérations d’intérêt commun, le tout dans un   contexte où ils doivent transiger avec divers types d’occupants dans l’immeuble : les copropriétaires d’un côté avec qui le syndicat a une relation contractuelle, et les locataires, sous-locataires, occupants, et invités de l’autre, ceux-ci étant des tiers vis-à-vis du syndicat.

En premier lieu, quant à l’argument fondé sur l’occupation, soit le droit des propriétaires de permettre à l’actrice d’occuper ultérieurement la partie privative à titre d’invitée et sans frais advenant que l’injonction soit octroyée, il est à noter qu’il s’agit ici d’une situation particulière où le loyer mensuel est rapporté comme étant supérieur à

28 000 $ par mois puisque la Cour rapporte que l’annulation du premier bail, d’une durée de trois mois, n’est pas de la compétence de la Régie du logement (85 000 $).    Dans un tel contexte, nous croyons judicieux de nous demander s’il s’agissait véritablement d’une occupation ultérieure à titre gratuit ou d’une réduction de loyer. À tous égards, une conclusion selon laquelle un copropriétaire et un locataire non liés, ni par parenté ni autrement, visés par une demande d’annulation du bail de la part d’un syndicat en ce que ledit bail enfreint le règlement d’immeuble, pourraient échapper à l’application d’un règlement et d’une injonction en prétextant une occupation ultérieure    et sans frais, ne revient-elle pas à faire indirectement ce qu’il est interdit de faire directement ? Une telle conclusion aurait pour résultat de faire échec aux efforts des  syndicats de copropriété qui cherchent à préserver le caractère résidentiel et la tranquillité au sein de leurs immeubles, laissant ainsi place aux stratagèmes visant à  permettre à chacun de faire valoir son intérêt personnel par-dessus l’intérêt collectif.

Quant à la conclusion de la Cour selon laquelle il s’agissait d’un cas ne se prêtant pas à l’exécution en nature, nous soumettons les commentaires suivants :

– La Cour exprime en premier lieu que, afin d’être opposable au locataire, le règlement aurait dû lui être remis avant la signature du bail puisque l’article 1057 C.c.Q., rendant le règlement de l’immeuble opposable au locataire ou à l’occupant d’une partie privative « dès qu’un exemplaire du règlement ou des  modifications […] lui est remis par le copropriétaire ou à défaut, par le syndicat », n’est pas rétroactif ni rétrospectif. Or, cette conclusion crée des difficultés juridiques et pratiques importantes :

  • Premièrement, l’interprétation de la Cour aurait pour effet de mettre le syndicat et la collectivité des copropriétaires qu’il représente, étant des tiers au bail, devant le fait accompli. En dépit de la clause de restriction des durées de location qu’ils ont dûment adoptée, ils devraient vivre avec un locataire à court  terme dans l’immeuble sans pouvoir en exiger le départ, en raison du défaut du copropriétaire de s’acquitter de son obligation de fournir une copie du bail.    Le syndicat qui doit pourtant voir à la conservation de l’immeuble, à la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble ou à la copropriété, ainsi qu’à toutes les opérations d’intérêt commun, n’aurait ainsi plus son mot à dire. Nous sommes d’avis qu’un tel résultat est incompatible avec le principe de relativité des contrats 9.

 

  • L’article 1057 du Code civil du Québec permet au syndicat de transmettre un exemplaire du règlement au locataire ou à l’occupant. Cet article vise à  permettre au syndicat de pallier le défaut du copropriétaire de fournir une copie du règlement d’immeuble. Conclure au caractère non rétroactif ou non rétrospectif du règlement d’immeuble qui n’a pas été fourni au moment de la conclusion du bail par le locataire revient à poser des difficultés additionnelles quant à l’application de certaines clauses qui amèneraient un syndicat à devoir entreprendre des procédures en injonction mandatoire contre un locataire. Ainsi, le locataire qui possède un animal interdit par les règlements d’immeuble pourrait-il opposer au syndicat qui souhaite le forcer de s’en départir le fait   que le règlement d’immeuble n’a pas été porté à sa connaissance au moment de sa signature ? Une telle interprétation aurait pour résultat absurde de permettre à un locataire de posséder des animaux que les copropriétaires eux-mêmes se voient interdits d’avoir, créant ainsi deux régimes d’occupation distincts, le non-propriétaire faisant l’objet de moins de restrictions d’usage et de jouissance que le propriétaire lui-même sur son bien.

–  La Cour explique ensuite que la location à court terme, quand bien même interdite, ne constitue pas à elle seule un préjudice suffisamment sérieux afin d’obtenir l’exécution en nature et que, à tous égards, le syndicat pourra imposer des pénalités au copropriétaire qui ne s’est pas conformé au règlement  d’immeuble. Cette conclusion nous semble en contradiction avec les développements jurisprudentiels passés montrant que le simple non-respect d’une clause à la déclaration de copropriété constitue un préjudice suffisamment sérieux pour l’octroi d’une injonction 10.

–  Afin de refuser l’exécution en nature, la Cour reprend les termes de l’article 1601 C.c.Q. pour expliquer que, selon les critères développés par la doctrine et la jurisprudence, il ne s’agit pas d’un cas qui le permette, puisqu’elle aurait pour conséquence de porter atteinte, sans motif valable, aux droits d’un tiers, le locataire, celui-ci n’ayant pourtant pas connaissance, lors des agissements, du droit contractuel bafoué 11. Avec égards, nous sommes d’opinion qu’une telle conclusion ne prend pas en compte la réalité de la copropriété pour les motifs suivants :

  • Le locataire, quand bien même de bonne foi, n’est pas censé ignorer la loi. L’article 1039 C.c.Q. dispose que le syndicat de copropriété est constitué lors de la publication de la déclaration de copropriété. L’article 1052 explique que la déclaration de copropriété est constituée en trois parties, dont une partie référant au règlement d’immeuble, celui-ci contenant les règles de jouissance et d’usage des parties privatives et communes. La question se pose alors de savoir si un locataire peut soulever son ignorance de l’existence d’un règlement si cette ignorance résulte de son défaut de se comporter de manière prudente et diligente 12.
  • Le contexte de copropriété doit être pris en compte et devrait constituer le motif valable permettant l’octroi de l’injonction quand bien même elle porte atteinte aux droits d’un tiers. Outre le syndicat qui voit son règlement bafoué, ce sont tous les autres copropriétaires, locataires et occupants qui sont affectés au sein de l’immeuble. L’application d’un règlement visant la restriction des durées de location se trouve d’autant plus difficile à appliquer s’il est possible de le contourner, ayant pour résultat un régime à deux vitesses tel que nous l’avons préalablement cité.
  • Par ailleurs, prouver la mauvaise foi ou la connaissance du règlement par le locataire revient à exiger un élément additionnel au fardeau de preuve du  syndicat qui souhaite voir appliquer le règlement de l’immeuble afin de préserver l’intérêt de la collectivité. Cet élément n’est pas exigé par les articles 1057 et 1079 C.c.Q., mais semble plutôt relatif aux cas spécifiques de demandes d’injonction dans un contexte commercial.

–  Finalement, la Cour exprime que les critères d’obtention de l’injonction permanente ne sont pas non plus satisfaits :

  • La Cour estime que puisqu’il s’agit d’une ordonnance enjoignant de ne pas faire ayant pour effet pratique de requérir d’accomplir un acte déterminé,   l’injonction mandatoire requiert de prendre en compte la « balance of hardship » 13. Tel qu’elle l’a souligné préalablement, la Cour semble ne pas avoir pris la pleine mesure du préjudice que constitue la violation d’une clause contenue à la déclaration de copropriété et au règlement d’immeuble. Par ailleurs, les principes développés par la common law en matière d’injonction mandatoire doivent être appliqués dans le contexte du droit civil québécois où l’exécution par équivalent est le principe tandis que l’exécution en nature est l’exception. C’est dans ce contexte que, en accordant une injonction mandatoire, la Cour pourra être amenée à se demander si l’octroi de cette injonction pourrait s’avérer oppressif et déraisonnable. Il ne s’agit donc pas d’évaluer la balance des inconvénients 14. Au contraire, nous soutenons qu’il serait oppressif et déraisonnable de forcer le syndicat et l’ensemble des copropriétaires à tolérer, respecter et à être tenus d’exécuter une obligation juridique résultant d’un contrat auquel ils ne sont pas partie et en vertu d’un contrat conclu en contravention des règles de jouissance et d’usage qu’ils ont dûment adoptées afin de régir leur propriété.
  • Par ailleurs, le fait que le syndicat n’ait pas de lien de droit avec le locataire ne devrait pas constituer une fin de non-recevoir dans les circonstances du dossier. À titre d’illustration, prenons l’exemple du locataire pour plus d’une année, qui décide de sous-louer son bail pour trois mois en dépit des règlements interdisant tout type d’occupation d’un délai de moins d’une année. Conclure au fait que le syndicat ne peut pas obtenir d’ordonnance à l’encontre d’un bail conclu en contravention de ses règlements parce qu’il est un tiers au contrat devrait mener une cour de justice à conclure que le contrat de sous-location devrait être, à son tour, inopposable au sous-locataire qui ne s’est pas vu remettre une copie des règlements, rendant ainsi éventuellement impossible pour un syndicat d’appliquer les règlements qu’il a pourtant validement adoptés.

CONCLUSION

Cette décision de la Cour supérieure semble heurter quelque peu l’état du droit de la copropriété tel que connu jusqu’ici, en plus de risquer de compliquer la tâche des syndicats de copropriété qui cherchent à faire appliquer la déclaration de copropriété à l’ensemble des occupants de l’immeuble, qu’ils soient copropriétaires, locataires, sous-locataires, ou occupants. Nous entrevoyons en outre le risque de créer des situations où le syndicat devrait faire la preuve de connaissance ou de mauvaise foi de la part d’un locataire, d’un sous-locataire ou d’un occupant afin de faire annuler un acte juridique contracté en violation de ses règlements. Une telle exigence aurait pour  effet de faire supporter à la collectivité des copropriétaires le poids de la mauvaise foi, de la négligence, de l’aveuglement volontaire ou de l’insouciance des copropriétaires qui n’auront pas remis copie du règlement lors de la signature du bail.

Dans le cas des locations à court terme en contexte de copropriété, soulignons qu’il s’agit d’un problème croissant auquel les syndicats de copropriété sont confrontés et contre lequel ils cherchent à se prémunir. Sans interdire la location, l’adoption de restrictions relativement à la location permet de faire respecter l’équilibre entre la  jouissance des copropriétaires locateurs et celle des copropriétaires résidents, de limiter les allées et venues, les problèmes de bruit, de sécurité des occupants, de dommages, dégradations et incivilités aux parties communes, de limiter l’accroissement des coûts de gestion, de sécurité et juridiques, en plus de leur permettre de se prémunir contre les risques d’augmentation du risque assurable. En faisant le choix de la copropriété divise, les copropriétaires font le choix d’acquérir une fraction de copropriété dans un cadre communautaire ou social qui cadre mal avec le caractère absolu du droit de propriété, leurs intérêts individuels devant parfois céder le pas à   ceux de la collectivité 15. Selon nous, le locataire qui fait le choix de louer en contexte de copropriété divise fait aussi le choix de se voir imposer des règles de vie    collective quand bien même elles ne lui auraient pas été communiquées par son locateur au moment de la signature du bail.


* Me Bruno Bourdelin, un associé du cabinet Fiset Légal, concentre sa pratique en droit immobilier. Il rédige régulièrement des articles sur le droit immobilier, notamment  pour les Éditions Yvon Blais, et donne aussi des formations en droit de la copropriété et en droit immobilier, dont le cours de Gestion juridique de la copropriété à    l’Université McGill. Me Marco Tiberio est avocat au sein du cabinet Fiset Légal. Il concentre aussi sa pratique en droit immobilier.

  1. Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10400 boul. L’Acadie, 2001 CanLII 10061 (QC C.A.), J.E. 2001-1784, REJB 2001-26512 (C.A.), [2001] R.J.Q. 2401.
  2. 2. EYB 2016-269127 (C.S.) ; requête en rejet d’appel, C.A. Montréal, 500-09-026340-166, 10 novembre 2016.
  3. « I will change the contract with my lawyer to a one-year contract. »
  4. Art. 28 de la Loi sur la Régie du  logement.
  5. « De surcroît, le Syndicat n’explique pas pourquoi ceux-ci causent plus de problèmes que les gens aux services des autres copropriétaires de l’immeuble », par. 48 de la décision commentée.
  6. Le bail ayant été signé par une personne morale (Day6) et celle-ci ayant désigné une personne physique pour occuper le bail à titre de locataire résidentiel.
  7. Art. 1057 C.c.Q.
  8. Ainsi, si la violation a déjà eu lieu et qu’une ordonnance mandatoire doit être prononcée, des considérations particulières s’appliquent : « […] if the granting of a mandatory order would inflict damage upon the defendant out of all proportion to the relief which the plaintiff ought to obtain, the Court will, in my opinion, and ought, in my judgment, to refuse it » (j. Sharpe, par. 1.580, citant Sharp v. Harrison, [1922] 1 Ch. 502, p. 512, 515, j. Astbury). Ainsi, il n’est pas toujours possible de défaire, par injonction, ce qui a été fait en contravention d’une obligation « de ne pas faire ». Or, il importe de le rappeler, le bail du 20 mai a été signé avant la remise du règlement       de l’immeuble à Day6 et avant l’institution des procédures le 3 juin    dernier.
  9. Art. 1440 C.c.Q.
  10. Art. 1080 C.c.Q. ; Amselem c. Syndicat Northcrest, 2002 CanLII 41115, REJB 2002-30953 (QC C.A.) ; Syndicat de copropriété Les Condos du domaine c. Martel, 200-17-017086-125, 2012 QCCS 6173, EYB 2012-215157, j. Raymond W. Pronovost ; Vacher c. Ciesielski, 500-17-00314-104, 2012 QCCS 3819, EYB 2012-210110, j. François P. Duprat (appel rejeté) ; Marcotte c. Syndicat des copropriétaires La Maison Amyot, 200-17-009456-088, 2011 QCCS 3044, EYB 2011-192187, j. Georges Taschereau.
  11. Par. 89 de la décision commentée : « […] « certes, la connaissance par le tiers de l’obligation contractuelle est indispensable » (BAUDOUIN, no487, p. 582) ;

« mais cette responsabilité du tiers, violateur ou complice de la violation d’un contrat, exige au moins sa connaissance, lors de ses agissements, du droit contractuel ainsi bafoué » [en italique dans l’original, note omise] (LLUELLES, no  2455 ; Trudel c. Clairol inc. of Canada, 1974 CanLII 167 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 236, EYB 1974-         246088 ; Dostie c. Sabourin, 2000 CanLII 29871, [2000] R.J.Q. 1026, REJB 2000-17136, par. 77 (C.A.) ; Sobeys Québec inc. c. 3764681 Canada inc., 2002 CanLII        63349 (QC C.A.), J.E. 2002-415, AZ-50113416, REJB 2002-28338, par.    26).

  1. « […] il importe que ce tiers ait eu conscience que son comportement était très probablement susceptible de causer un préjudice au cocontractant. Il faut donc que ce tiers ait agi avec, tout au moins, un mépris caractérisé des intérêts d’autrui : c’est sans doute ce que signifie l’exigence de la “mauvaise foi”, prévue soit par les textes (art. 1397 al. 1), soit par la jurisprudence », Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, no 2455, p. 1445, EYB2012THM146.
  2. Par. 93 de la décision commentée : « “[…] if the granting of a mandatory order would inflict damage upon the defendant out of all proportion to the relief which the plaintiff ought to obtain, the Court will, in my opinion, and ought, in my judgment, to refuse it” (j. Sharpe, par. 1.580 citant Sharp v. Harrison, [1922] 1 Ch. 502, p. 512, 515, j. Astbury). Ainsi, il n’est pas toujours possible de défaire, par injonction, ce qui a été fait en contravention d’une obligation “de ne pas faire”. Or, il importe de le rappeler, le bail du 20 mai a été signé avant a remise du règlement de l’immeuble à Day6 et avant l’institution des procédures le 3 juin dernier. »
  3. Granby (Ville de) c. Poulin (Succession de), 2016 QCCA 945, EYB  2016-266392 (CanLII), par. 51.
  4. Lord c. Construction Serric inc., 2008 QCCA 398, EYB 2008-130462 ; Société d’habitation et de développement de Montréal c. Bergeron, 1996 CanLII 5767 (QC C.A.), [1996] R.J.Q. 2088 (C.A.), EYB 1996-65402 ; Krebs c. Paquin, [1986] R.J.Q. 1139 (C.S.), EYB 1986-79567.

 

Date de dépôt : 6 décembre  2016

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Me Sébastien Fiset
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