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Quelle méthode de computation des voix devrait être privilégiée dans l’élection des administrateurs d’un syndicat de copropriété ?

Par Me Sébastien Fiset avec la collaboration de M. Laurent Fournier, étudiant en droit

L’importance du conseil d’administration du syndicat

Le droit civil québécois accorde une grande importance au respect du droit de propriété.  Il doit être inféré du libellé de l’article 947 du Code civil du Québec et de l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne que ce droit est en principe absolu, sous réserve de certaines exceptions.  Or, par sa nature particulière, le droit de propriété sur un immeuble détenu en copropriété divise s’accompagne inévitablement de nombreuses restrictions d’exercice et de jouissance.  En effet, la copropriété divise est un régime mixte entre la propriété individuelle et la propriété collective[1].  Le copropriétaire de ce type d’immeuble dispose donc d’une combinaison de deux droits distincts, soit un droit de propriété individuel sur sa partie privative ainsi qu’un droit indivis collectif sur l’ensemble des parties communes[2].

Cette situation s’accompagne d’un besoin inhérent de structure organisationnelle.  En effet, on ne saurait aspirer à une cohabitation harmonieuse sans l’établissement de règlements clairs et applicables à l’ensemble des copropriétaires.  C’est pourquoi la loi prévoit, dès la publication de la déclaration de copropriété, la constitution d’une personne morale, le syndicat de copropriété, visant à assurer la saine gestion de l’immeuble, notamment en veillant au respect de ses règlements[3].  À cette fin, le syndicat de copropriété est composé de deux organes décisionnels, soit l’assemblée des copropriétaires et le conseil d’administration.  Ce dernier gère les affaires courantes du syndicat et dispose de tous les pouvoirs nécessaires à cette fin[4].  Mentionnons à cet effet que l’article 1072 C.c.Q. prévoit expressément qu’il relève du conseil d’administration de fixer la contribution des copropriétaires aux charges communes, bien que cette dernière soit soumise à une consultation préalable de l’assemblée des copropriétaires[5].

Conséquemment, il doit être noté que la latitude non négligeable dont dispose le conseil d’administration quant au budget du syndicat de copropriété peut être lourde de conséquences pour certains copropriétaires.  À titre d’exemple, pensons au copropriétaire serré dans ses finances qui serait incapable de composer avec une hausse trop élevée de sa contribution aux charges communes.  De ce fait, nous ne saurions faire abstraction du caractère particulier que revêt le syndicat de copropriété sur les droits des copropriétaires, et ce, notamment en raison du fait que les décisions prises par le conseil d’administration sont susceptibles d’avoir un impact substantiel sur leur quotidien.

Mode de scrutin à privilégier pour élire les administrateurs

Il apparaît essentiel que la composition du conseil d’administration soit établie selon les meilleures pratiques en matière de gouvernance.  Le Code civil du Québec n’impose aucune formalité quant au mode de nomination des administrateurs[6].  L’article 338 al. 1 C.c.Q. précise néanmoins que ces derniers doivent être désignés par les membres de la personne morale, soit par les copropriétaires.[7]  L’article 1084 al.1 C.c.Q. renvoie pour sa part au mode de nomination prévu au règlement de l’immeuble[8].  Toutefois, sauf dans le cadre des copropriétés par phase, il est exceptionnel qu’une déclaration de copropriété prévoie un mode de nomination autre qu’un mode « électif »[9].  Ainsi, la pratique habituelle consiste à procéder à un seul scrutin et à élire les administrateurs à « la majorité des voix des copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée ».

Pour les motifs que nous émettrons ci-après, cela signifie qu’un copropriétaire devrait voter autant de fois qu’il y a de candidatures.  Rappelons à cet effet que les copropriétaires ne disposent pas d’un nombre de voix équivalent entre eux.  L’article 1090 C.c.Q. prévoit effectivement que le nombre de voix dont dispose chaque copropriétaire en assemblée est fonction de la valeur relative de sa fraction[10].

De prime abord, signalons qu’une telle méthode ouvre la porte à ce que, lors du vote, les candidats ayant obtenu le plus de voix n’obtiennent pas l’assentiment de la majorité absolue des membres, soit par l’obtention de plus de 50% des voix présentes ou représentées en assemblée.  En effet, la candidature de plus de deux candidats pour un même poste implique, par la nature même du scrutin, qu’un candidat pourrait n’avoir obtenu que la pluralité des voix, c’est-à-dire une majorité simple.  Or, l’article 1096 C.c.Q. prévoit que les décisions du syndicat doivent être prises par la majorité des voix, c’est-à-dire une majorité absolue[11].  Un administrateur ne devrait donc pas être élu sans avoir obtenu plus de 50% des voix en sa faveur.

D’une part, il est possible de pallier à cette lacune par la tenue de tours de vote subséquents en retranchant à chaque tour la candidature avec le pourcentage le plus faible.  Du moment où certaines candidatures sont retranchées, il deviendrait mathématiquement impossible de ne pas arriver à une majorité absolue.

D’autre part, il est loin d’être limpide que l’atteinte de la majorité absolue par cette méthode assure une représentation optimale de l’intérêt de l’ensemble des copropriétaires au conseil d’administration.  En effet, l’élimination à chacun des tours des candidatures ayant préalablement obtenu un nombre moindre de voix suppose que l’assemblée ne sera pas appelée à se prononcer individuellement sur chacun des candidats en lice.  Par exemple, supposons qu’un seul poste d’administrateur soit disponible, que quatre candidats tentent de le combler et que les copropriétaires ne soient appelés à se prononcer que pour le candidat qu’ils souhaitent voir sur le conseil d’administration.  Aux fins de l’exemple, supposons maintenant que le candidat A obtienne 35% des voix, B 30%, C 20% et D 15%. Suivant cette logique, les candidats C et D seraient éliminés et il faudrait trancher entre A et B.  Or, il est possible que les candidatures éliminées au premier tour (C et D) soient le deuxième choix, l’un ou l’autre, d’une majorité absolue des voix des copropriétaires. Il doit donc en être conclu de ce qui précède que la simple mathématique des choses mène à une distorsion entre les résultats du scrutin et les réels intérêts de l’ensemble des copropriétaires. En effet, un tel mode de scrutin est non seulement une erreur mathématique, mais semble également aller directement à l’encontre de l’économie générale des dispositions du Code civil sur les modalités de la copropriété, lesquelles encouragent le consensus général sur chaque prise de décision.

Nous devons garder en tête que le contexte particulier d’une copropriété s’accompagne de l’obligation de concilier les intérêts de chaque copropriétaire avec l’intérêt collectif.  Le rôle de premier plan que joue le conseil d’administration à cet effet implique qu’on ne saurait accepter qu’une proportion substantielle de copropriétaires n’y soit adéquatement représentée.

Mentionnons que les questions relatives à la gouvernance ne sont pas uniques aux conseils d’administration des syndicats de copropriété, et ce, malgré leur caractère particulier.  Il apparaît ainsi pertinent d’aborder un récent projet de loi du gouvernement fédéral qui, si adopté, apporterait certaines modifications quant au mode d’élection des administrateurs de compagnies constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (ci-après LCSA)[12].  La pertinence de cette analogie entre les compagnies constituées en vertu de la LCSA et les syndicats de copropriété découle principalement de l’un des objectifs de ce projet de loi, soit d’améliorer la gouvernance au sein des conseils d’administration.  Cet objectif a d’ailleurs été expressément formulé dans les commentaires du législateur[13].

Essentiellement, les modifications proposées imposeraient un processus de votation à suivre quant à l’élection des administrateurs des sociétés faisant appel au public.  Les actionnaires auraient l’obligation de se prononcer « pour » ou « contre » chacune des candidatures.  Le nombre de votes à tenir serait donc équivalent au nombre de candidatures.

L’application de cette solution binaire au mode d’élection des membres de conseils d’administration des syndicats de copropriété aurait des conséquences significatives sur leur composition.  Elle permettrait notamment d’éviter les potentielles distorsions précédemment abordées.  Rappelons que dans notre exemple, les copropriétaires n’avaient qu’une seule voix par bulletin puisqu’un seul administrateur pouvait être élu.  Le candidat A avait obtenu 35% des voix, B 30%, C 20% et D 15%.  Supposons maintenant que nous substituerions cette méthode par celle proposée par le gouvernement fédéral.  Supposons également que le taux d’approbation du candidat A soit de 80%, B 45%, C 70% et D 95%.  Ici, le candidat D serait élu sans que soit requis un deuxième tour, alors que seul le candidat B serait éliminé d’office puisque sa candidature n’a pas été entérinée par la majorité absolue des copropriétaires.  Or, selon la méthode préalablement énoncée, ce même candidat, B, se serait retrouvé au second tour du scrutin, et ce, malgré son rejet par la majorité absolue des copropriétaires.  Toujours selon cette méthode, le candidat faisant l’objet du plus grand consensus, ici D, aurait été éliminé au premier tour, alors que son élection n’est opposée que par une minorité de 5% des copropriétaires.

Le fait que plusieurs candidats aient obtenu la majorité absolue des voix des copropriétaires ne devrait pas non plus, selon nous, poser de sérieux problèmes.  La décision d’adopter un tel mode de scrutin ne vise pas uniquement à connaître la candidature la plus favorisée, mais également celle étant la moins contestée.  Élire le candidat ayant obtenu le plus haut taux d’approbation ne ferait que s’inscrire dans cette logique.

Dans le contexte particulier d’un syndicat de copropriété, nous sommes d’avis que les décisions du conseil d’administration devraient être prises de manière à rallier le plus grand nombre de copropriétaires possible.  Après tout, chacun d’entre eux dispose d’un droit de propriété individuel sur sa partie privative et les tempéraments que comporte la copropriété divise sur l’exercice et la jouissance de la propriété devraient être réduits au minimum.

Pour ces motifs, nous opinons que la méthode binaire de computation des voix soit non seulement à encourager, mais qu’elle constitue à la fois la seule méthode mathématique et légale de procéder afin d’assurer que le candidat retenu soit celui qui obtienne le plus fort consensus.  Non seulement élimine-t-elle les problèmes mathématiques inhérents à la méthode actuellement favorisée, mais elle permet également d’obtenir une composition du conseil d’administration plus représentative de la volonté de la collectivité des copropriétaires et de leurs intérêts.

[1] Krebs c. Paquin [1986] R.J.Q. 1139.

[2] Y. Joli-Cœur, « Les paramètres généraux de la copropriété divise », dans SERVICE DE LA FORMATION PERMANENTE DU BARREAU DU QUÉBEC, Développements récents en droit de la copropriété divise, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 39.

[3] Art. 1039 C.c.Q. : « La collectivité des copropriétaires constitue, dès la publication de la déclaration de copropriété, une personne morale qui a pour objet la conservation de l’immeuble, l’entretien et l’administration des parties communes, la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble ou à la copropriété, ainsi que toutes les opérations d’intérêt commun.

Elle prend le nom de syndicat. »

[4] Art. 335 al. 1 C.c.Q. : « Le conseil d’administration gère les affaires de la personne morale et exerce tous les pouvoirs nécessaires à cette fin. »

[5] Voir l’article 1072 C.c.Q.

[6] Christine GAGNON, La copropriété divise 3e édition, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 482-483.

[7] Art. 338 al. 1 C.c.Q. : « Les administrateurs de la personne morale sont désignés par les membres ».  

[8] Voir art. 1084 al. 1 C.c.Q.

[9] Marie TRUDEL et André BENOIT, Manuel de gestion d’un syndicat de copropriété au Québec, Montréal, Éditions Wilson et Lafleur ltée, 2009, p.140.

[10] Voir les articles 1046 et 1090 C.c.Q.

[11] Voir l’article 1096 C.c.Q.

[12] Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence, projet de loi no C-25 (2e lecture – 22 mars 2017), 1e sess., 42e légis. (Can.).

[13] CANADA, CHAMBRE DES COMMUNES, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 42e légis., 26 octobre 2016, « Initiatives ministérielles. La loi canadienne sur les sociétés par actions », (M. Navdeep Bains).

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