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Les vacances au sein du conseil d’administration d’une copropriété divise

PAR ME SÉBASTIEN FISET AVEC LA COLLABORATION DE LAURENT FOURNIER, ÉTUDIANT EN DROIT

Étant l’un des deux (2) organes décisionnels, avec l’assemblée des copropriétaires, le conseil d’administration d’une copropriété divise joue un rôle de premier plan dans l’administration d’un syndicat. Le conseil d’administration du syndicat en gère, en effet, les affaires courantes et exerce tous les pouvoirs nécessaires à cette fin[1]. Rappelons que la copropriété divise est un régime mixte qui pondère les droits collectifs de l’ensemble des copropriétaires et les droits individuels de chacun d’entre eux[2].

Ainsi, considérant l’impact que peuvent avoir les décisions du conseil sur les droits des copropriétaires, il est primordial que la légitimité des administrateurs ne puisse être remise en question. C’est pourquoi, bien que l’article 1084 C.c.Q. du Code civil du Québec renvoie au mode de nomination des administrateurs prévu dans le règlement de l’immeuble, il est exceptionnel* qu’une déclaration de copropriété prévoie un mode de nomination autre qu’un mode « électif »[3]. Par ailleurs, soulignons que malgré le libellé de l’article 1084 C.c.Q., lequel semble accorder une certaine flexibilité quant au mode de désignation des administrateurs, tout syndicat de copropriété demeure tenu de respecter les obligations légales relatives au fonctionnement des personnes morales[4]. L’article 338 C.c.Q. prévoyant que les administrateurs de la personne morale soient désignés par ses membres, il est donc peu surprenant que la pratique générale consiste à procéder à une élection des administrateurs par l’assemblée des copropriétaires[5].

Que faire lorsque survient une vacance au sein du conseil d’administration ?

La règle selon laquelle il revient à l’assemblée des copropriétaires de désigner les membres du conseil d’administration du syndicat est toutefois tempérée en ce qui concerne les vacances au sein du conseil. Pensons, par exemple, à l’administrateur qui démissionne de ses fonctions en cours de mandat. Dans une telle situation, le Code civil du Québec n’impose pas que le remplaçant soit désigné par l’assemblée des copropriétaires. L’article 340 du Code civil du Québec prévoit plutôt que la prérogative revient aux administrateurs restants. Cette disposition est libellée comme suit :

« Les administrateurs comblent les vacances au sein du conseil. Ces vacances ne les empêchent pas d’agir ; si leur nombre est devenu inférieur au quorum, ceux qui restent peuvent valablement convoquer les membres ».

[Nos soulignés]

L’article 340 C.c.Q. a été adopté au cours de la réforme du Code civil. Appelé à commenter cette nouvelle disposition, le ministre de la Justice de l’époque offrit le commentaire suivant :

« Cet article nouveau établit que les administrateurs peuvent agir, malgré les vacances à des postes d’administrateurs, tant que le quorum est atteint. Si leur nombre est inférieur à celui du quorum, ils peuvent agir valablement s’il s’agit de convoquer les membres afin de rétablir la situation. »[6]

[Nos soulignés]

Nous avons des réserves sur la portée et la signification de cet article du Code civil puisque, ni le libellé de la disposition, ni les commentaires du ministre de la justice ne précisent convenablement les prérogatives des administrateurs lorsqu’une vacance survient au conseil. En effet, le terme « combler » ne signifie pas « nommer ». Par ailleurs, selon l’Office québécois de la langue française, l’expression « combler une vacance » correspond à une utilisation incorrecte, en français, du verbe « combler ».  Le législateur aurait plutôt dû employer les termes « pourvoir à une vacance »[7]. Difficile, alors, de donner une interprétation claire à l’article 340 C.c.Q., lequel pourrait également signifier que les administrateurs restants soient aptes à exercer les fonctions (poste de direction ou organes créés selon l’article 335 C.c.Q.) des administrateurs démissionnaires. Notons également que la version anglaise de l’article n’est d’aucune aide en ce qui concerne l’interprétation de cet article. Les termes fill the vacancies peuvent à la fois signifier qu’une personne soit désignée pour occuper ladite fonction ou encore que celle-ci soit prise en charge par les administrateurs restants[8].

Pour certains auteurs[9], l’article 340 C.c.Q. accorderait de plein droit un pouvoir de nomination unilatérale aux administrateurs d’une copropriété, nonobstant toute clause d’une déclaration de copropriété prévoyant que les administrateurs soient élus par l’assemblée copropriétaires. Ainsi, lorsqu’un administrateur quitterait ses fonctions en cours de mandat, son remplaçant serait nommé par les administrateurs restants, sans que l’assemblée des copropriétaires ne soit consultée. Il faut souligner que cette méthode de procéder est pratique courante en droit des sociétés par actions, lesquelles sont principalement régies par des lois connexes, notamment la Loi sur les sociétés par actions du Québec (ci-après « L.S.A.Q. »).

Or, pour les motifs que nous exposerons ci-après, nous ne pouvons pas souscrire à cette opinion. En effet, nous sommes d’avis que l’article 340 du Code civil du Québec n’est applicable en copropriété divise que lorsque le règlement de l’immeuble (1054 C.c.Q.) ne prévoit aucun mode de nomination des administrateurs et que lorsque ce pouvoir n’est pas attribué exclusivement à l’assemblée des copropriétaires dans l’acte constitutif de la déclaration de copropriété. Considérant que la très grande majorité des déclarations de copropriété prévoient un mode « électif » de nomination des administrateurs, le pouvoir de « combler des vacances » au sein du conseil par des nominations unilatérales devrait être l’exception et non la règle. Les administrateurs doivent, en effet, respecter les obligations que l’acte constitutif et le règlement de l’immeuble leur imposent et doivent agir dans les limites des pouvoirs qui leurs sont conférés[10].

Il est probable que la similitude entre les articles régissant le fonctionnement des conseils d’administration des sociétés par actions de la L.S.A.Q. et ceux du Code civil du Québec laisse faussement croire que le droit applicable en la matière soit tout aussi similaire. C’est pourquoi nous distinguerons ces deux (2) régimes légaux ci-après afin de mieux déterminer quel est, selon nous, le droit applicable aux conseils d’administration des syndicats de copropriété.

Les termes employés par le législateur aux articles 145 et 146 de la L.S.A.Q. sont effectivement très semblables à ceux de l’article 340 C.c.Q. Ces articles sont libellés comme suit :

« 145. Les administrateurs peuvent, s’il y a quorum, combler toute vacance au sein du conseil d’administration. 

  1. En l’absence de quorum, ou en cas de défaut d’élire le nombre fixe ou minimal d’administrateurs prévu par les statuts, les administrateurs en fonction doivent, dans les meilleurs délais, convoquer une assemblée extraordinaire afin de pallier cette absence ou ce défaut.

Tout actionnaire peut convoquer cette assemblée si les administrateurs refusent ou négligent de le faire ou s’il n’y a aucun administrateur en fonction. »

D’une part, il n’est pas contesté, en droit québécois des sociétés par actions, que les administrateurs d’une entreprise disposent d’un pouvoir de nomination afin de combler les vacances au conseil[11]. Or, la question qui se pose consiste à savoir si ces similitudes impliquent que les effets juridiques de l’article 340 C.c.Q. sur les syndicats de copropriété soient similaires à ceux des articles 145 et 146 de la L.S.A.Q. sur les conseils d’administration des sociétés par actions. Nous sommes d’avis qu’il faille répondre à cette question par la négative.

D’autre part, la Loi sur les sociétés par actions prévoit expressément que les administrateurs doivent être élus par les actionnaires de l’entreprise[12]. Cette règle est d’ordre public, c’est-à-dire que le règlement interne de toute société ne peut permettre de déroger à cette obligation légale. Or, outre que les administrateurs sont « désignés » par les membres[13], le Code civil du Québec n’oblige pas les personnes morales à tenir une élection afin de désigner ses administrateurs. Le législateur a par ailleurs prévu une règle particulière pour les syndicats de copropriété au premier alinéa de l’article 1084 C.c.Q. Cet article est libellé comme suit :

« La composition du conseil d’administration du syndicat, le mode de nomination, de remplacement ou de rémunération des administrateurs, ainsi que les autres conditions de leur charge, sont fixés par le règlement de l’immeuble. »

[Nos caractères gras]

De plus, le législateur a également édicté que l’acte constitutif de copropriété précise les pouvoirs et devoirs respectifs du conseil d’administration et de l’assemblée des copropriétaires[14].

Les dispositions des articles 1053, 1054 et 1084 C.c.Q. sont, selon nous, très claires en ce qui concerne le caractère supplétif de l’article 340 C.c.Q.

Par conséquent, les règles prévues à la déclaration de copropriété auront préséance sur les articles supplétifs du Code civil du Québec, de sorte qu’une clause dans le règlement de l’immeuble peut prévoir que les administrateurs n’aient pas le droit de procéder à des nominations unilatérales afin de combler des vacances sur le conseil ou, dans l’acte constitutif, que ce pouvoir est confié à l’assemblée des copropriétaires. À l’inverse, il fait peu de doute que les administrateurs disposent de cette prérogative lorsque le règlement de l’immeuble est muet quant au mode de nomination des administrateurs et que l’acte constitutif ne précise pas que ce pouvoir a été confié à l’assemblée des copropriétaires.

À cet égard, il importe de mentionner que nous nous distançons de l’interprétation de certains auteurs, qui semblent considérer que c’est au règlement de l’immeuble que doivent être stipulées tant les instructions quant au « mode de nomination », soit la manière de procéder à la nomination des administrateurs, que les instructions relatives aux pouvoirs de procéder à telle nomination, c’est-à-dire « qui peut nommer les administrateurs »[15]. En effet, un flou juridique demeure quant à la notion de « mode de nomination », celle-ci n’ayant jamais été définie. Nous sommes d’avis que la détermination de qui, entre le conseil d’administration, l’assemblée des copropriétaires ou certains copropriétaires, pourra nommer les administrateurs en cas de vacances constituent une distribution des « pouvoirs et devoirs » au sens de l’article 1053 C.c.Q. et doit donc être prévu à l’acte constitutif. Le mode de nomination au sens courant du terme, soit la manière de nommer les administrateurs, sera toutefois stipulé au règlement de l’immeuble.

Cela étant, pour revenir à l’application de l’article 340 C.c.Q, la difficulté d’interprétation se pose non pas lorsque la déclaration de copropriété s’avère muette mais plutôt lorsque le règlement de l’immeuble prévoit un mode de nomination ou de remplacement des administrateurs par l’assemblée des copropriétaires, sans préciser de quelle manière d’éventuelles vacances au conseil seraient comblées alors que l’acte constitutif est silencieux sur les pouvoirs et devoirs du conseil d’administration à cet égard.

Nous ne sommes pas d’avis que, dans une telle hypothèse, les administrateurs pourraient invoquer l’article 340 C.c.Q. afin de s’accorder un pouvoir de nomination unilatérale. En choisissant le terme « ou » et non le terme « et » au premier alinéa de l’article 1084 C.c.Q., le législateur n’impose pas que le règlement de l’immeuble prévoie, explicitement ou de manière exhaustive, toutes les règles relatives à la composition et à la nomination des administrateurs.  À notre avis, une clause prévoyant la nomination des administrateurs par l’assemblée des copropriétaires au règlement de l’immeuble ou leur élection par l’assemblée des copropriétaires à l’acte constitutif, est suffisante pour faire échec à l’applicabilité de l’article 340 C.c.Q. En effet, le fait que des administrateurs non élus puissent siéger sur le conseil irait directement à l’encontre de la volonté des copropriétaires, lesquels auraient expressément précisé au règlement de l’immeuble que les administrateurs de la copropriété doivent être élus par l’assemblée des copropriétaires. Ce faisant, les administrateurs iraient également, de ce fait, à l’encontre de leur obligation d’agir dans les limites des pouvoirs qui leurs sont conférés par l’acte constitutif et le règlement de l’immeuble[16].

Les effets et les conséquences d’un pouvoir de nomination unilatérale accordé aux administrateurs

Il arrive fréquemment que les conseils d’administration des copropriétés soient composés d’un petit nombre d’administrateurs, notamment du au fait que ces postes sont souvent peu convoités. Mentionnons également que, bien qu’il ne soit pas légalement requis que les membres du conseil soient des copropriétaires, ils le sont dans la plupart des cas, ce qui peut entraîner la présence d’intérêts divergents sur le conseil d’administration.

Afin de mieux illustrer les effets et les conséquences potentielles qu’aurait le fait d’accorder un pouvoir de nomination unilatéral aux administrateurs pour combler une vacance, prenons l’exemple d’un conseil d’administration composé de cinq (5) administrateurs dûment élus lors de l’assemblée annuelle des copropriétaires. Supposons maintenant qu’un des administrateurs démissionne et qu’une vacance se créée sur le conseil. Dans une telle situation, les quatre (4) administrateurs restants pourraient nommer le remplaçant. Puisque l’article 336 C.c.Q. prévoit que les décisions du conseil d’administration sont prises à la majorité des voix au conseil[17], le vote de ce même remplaçant serait déterminant advenant que les (4) administrateurs élus soient également divisés sur une décision du conseil. Par ailleurs, nous pourrions donner de tels exemples jusqu’au point où l’entièreté des membres du conseil d’administration aurait été unilatéralement nommée, et ce, malgré le fait qu’une déclaration de copropriété prévoie un mode « électif » de nomination des administrateurs. En effet, en accordant un pouvoir de nomination unilatérale aux administrateurs, les membres non élus auraient également la prérogative de combler des vacances créées par la démission d’administrateurs élus.

L’ajout d’une clause dans la déclaration de copropriété ?

Il est de l’intérêt de tous les copropriétaires d’éviter des effets indésirables non souhaités et de pallier à l’incertitude que de telles situations se produisent, et ce, précisément en raison du statut particulier des conseils d’administration des syndicats de copropriété dont l’objectif est la conservation de l’immeuble, sans visées lucratives. Gardons également à l’esprit que la gestion du syndicat affecte directement le milieu de vie des copropriétaires. C’est pourquoi, dans l’attente d’une position ferme de l’état du droit par nos tribunaux sur la portée de l’article 340 C.c.Q. en contexte de copropriété, nous recommandons l’ajout d’une clause, soit à l’acte constitutif soit au règlement de l’immeuble, prévoyant, soit la possibilité unique de nomination et d’élection des administrateurs par l’assemblée des copropriétaires, soit celle par le conseil d’administration de nommer des remplaçants et, en ce dernier cas, la démarche (c.-à-d. : le mode de nomination) à suivre lorsqu’une vacance se créée au sein du conseil d’administration.

Une modification du règlement de l’immeuble est régie par les articles 1060 alinéa 1 et 1096 du C.c.Q. L’article 1096 C.c.Q. prévoit que les décisions du syndicat sont prises à la majorité des voix des copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée. L’article 1060 C.c.Q. y ajoute qu’il ne suffit que de déposer les modifications auprès du syndicat dans son registre[18]. Si l’acte constitutif de votre déclaration de copropriété le permet, vous pourrez donc, lors de votre prochaine assemblée des copropriétaires, préciser les pouvoirs des administrateurs en ce qui concerne la méthode à suivre pour combler toute vacance au sein du conseil. En éliminant toute ambigüité en la matière, vous protégerez non seulement vos intérêts, mais favoriserez également une meilleure gestion claire du syndicat et de meilleures relations avec les autres copropriétaires.

Pour une modification à l’acte constitutif, si cela était requis, le processus est plus complexe. En ce cas, nous vous invitons à consulter un notaire ou un avocat ayant une pratique spécialisée en copropriété.

Pour de plus amples renseignements, n’hésitez pas à consulter un conseiller juridique.

 

[1] Article 335 al. 1 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »)

[2] Krebs c. Paquin [1986] R.J.Q. 1139.

*Un bémol à cette règle générale doit toutefois être apporté en ce qui concerne les copropriétés par phases. Dans de tels cas, les administrateurs du syndicat de la copropriété horizontale sont généralement désignés par les syndicats de copropriétés verticales, avant d’être généralement subséquemment soumis au vote de l’assemblée des copropriétaires de la copropriété horizontale.

[3] Marie TRUDEL et André BENOIT, Manuel de gestion d’un syndicat de copropriété au Québec, Montréal, Éditions Wilson et Lafleur Ltée., 2009, p.140.

[4] Article 321 C.c.Q.

[5] Christine GAGNON, La copropriété divise, 3e ed., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 482 et ss.

[6] Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice – Le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Les Publications du Québec, 1993.

[7] Office québécois de la langue française, « fiche terminologique : pouvoir un poste », version en ligne, http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8869946, page consultée le 24 février 2018.

[8] Collins English Dictionary, version en ligne : <https://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/fill>, page consultée le 24 février 2018.

[9] Condo propriétaires (Yves Papineau Avocats) http://condoproprietaire.com/actualites/article/demission-dun-administrateur-et-vacance-au-conseilque-faire

[10] Article 321 C.c.Q.

[11] Paul MARTEL, La société par actions au Québec – les aspects juridiques, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur Martel Ltée., 2015, paragraphe 21-109 à 21-122.

[12] Loi sur les sociétés par actions article 110 al. 1

[13] Article 338 C.c.Q.

[14] Article 1053 (2) C.c.Q.

[15] À titre illustratif ; Christine GAGNON, La copropriété divise, 3e éd., Cowansville, Édition Yvon Blais, 2015, par. 678 et s.

[16] Article 321 C.c.Q.

[17] Article 336 C.c.Q.

[18] Article 1070 C.c.Q.

Me Sébastien Fiset
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