Si une copropriété comportant plusieurs centaines d’unités comptait parmi ses copropriétaires plusieurs membres de la minorité anglophone, devrait-elle leur fournir certains documents relatifs à l’assemblée des copropriétaires en anglais ? On peut très bien imaginer que des copropriétaires anglophones veuillent obtenir les avis de convocation, ordres du jour, procès-verbaux et modifications à la déclaration de copropriété à être votées pour se préparer à participer aux décisions relatives à leur copropriété. Le droit à l’égalité prévu à la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après « Charte québécoise ») peut à notre avis être invoqué par la minorité anglophone du Québec dans le contexte de la copropriété pour obtenir certains accommodements raisonnables.
Le droit à l’égalité
Le droit à l’égalité n’est pas un droit autonome, mais protège contre la discrimination dans l’exercice des autres droits prévus à la Charte québécoise en fonction de certains motifs énumérés.1 En effet, suivant l’article 10 de la Charte québécoise, une « distinction, exclusion ou préférence » fondée sur la langue est discriminatoire lorsqu’elle « a pour effet de détruire ou de compromettre » le droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, d’un droit ou d’une liberté de la personne. C’est ainsi en vertu de la liberté de s’exprimer dans la langue de son choix, en pleine égalité, que le Tribunal des droits de la personne a établi qu’un syndicat de copropriété ne peut pas interdire l’usage du français lors des assemblées des copropriétaires.2
Dès lors qu’une norme ou une pratique a un effet discriminatoire, même en l’absence d’un objectif discriminatoire, il incombera une obligation d’accommodement raisonnable au fournisseur de service ou à l’organisation de laquelle émane la norme attentatoire.
En ce qui concerne la minorité anglophone, c’est l’exercice en pleine égalité du droit à la jouissance paisible de ses biens qui peut être compromis dans le contexte d’une assemblée de copropriétaires.
Le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens
Le copropriétaire est propriétaire indivis des parties communes de la copropriété et c’est par son droit de vote en assemblée des copropriétaires qu’il exerce son droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens.3 C’est par ce moyen qu’il exprime sa voix dans les prises de décisions importantes pour les biens dont il est copropriétaire. C’est pourquoi le refus de donner effet à une procuration rendue moins de 48 heures avant une assemblée des copropriétaires a été jugé mesquin, malgré que le 48 heures était prévu à l’avis de convocation.4
Il est vrai que l’article 55 de la Charte de la langue française prévoit que les contrats d’adhésion doivent être conclus en français, sauf si les parties y consentent expressément. Toutefois, cette disposition est prévue afin que la population francophone ne se retrouve pas à consentir à des clauses d’un contrat d’adhésion rédigées en anglais sans avoir l’occasion d’y consentir de manière libre et éclairée, et non dans le but de forcer la minorité anglophone à conclure des contrats en français.5 Considérant le statut quasi-constitutionnel de la Charte québécoise, la Charte de la langue française devrait s’interpréter d’une manière qui y est conforme, donc n’empêchant pas des accommodements quant à la traduction des contrats d’adhésion dans le contexte de la copropriété.
Dans la société, un membre de la minorité anglophone a généralement l’occasion de consentir expressément à conclure son contrat d’adhésion dans sa langue. Par exemple, en allant conclure un contrat de téléphonie cellulaire – contrat d’adhésion typique s’il en est un – une version anglaise du contrat sera sans doute disponible compte tenu de la taille de la minorité anglophone du Québec et une clause de consentement explicite y sera prévue. Pour nos fins, le recours à la Charte québécoise permet de tenir compte du contexte spécifique d’une copropriété qui est celui d’une micro-société au sein de laquelle les droits des minorités doivent être respectés.
Le fait de ne pas transmettre les avis de convocation, les ordres du jour, les procès-verbaux des assemblées ou de ne pas communiquer les modifications à la déclaration de copropriété à être votées en anglais créerait selon nous une distinction fondée sur la langue dans l’exercice de son droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, en pleine égalité, de façon à en compromettre ou à en détruire le droit. En effet, cela compromettrait la possibilité, pour les membres de la minorité anglophone, de se prononcer de manière libre et éclairée sur les décisions à prendre au moyen de leur droit de vote.
La contrainte excessive
L’obligation d’accommodement raisonnable est née du contexte des relations de travail dans l’arrêt Commission ontarienne des Droits de la Personne c. Simpsons-Sears.6 Dès lors qu’un copropriétaire subit une atteinte à son droit à l’égalité telle que nous l’avons décrite ci-dessus, il incombera au syndicat une obligation d’accommoder le copropriétaire lésé. S’il voulait se décharger de son obligation, le syndicat devrait faire la démonstration des éléments suivants7 :
- La norme en cause est raisonnablement liée à un objectif louable qui s’insère dans la vocation du syndicat de copropriété ;
- La norme a été adoptée dans le but sincère de servir cet objectif louable ;
- La norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser cet objectif louable, c’est-à-dire qu’un accommodement permettant de respecter les droits du copropriétaire lésé causerait au syndicat une contrainte excessive.
Pour évaluer si un accommodement entraîne une contrainte excessive, on tient généralement compte de trois facteurs8 :
- Les ressources financières et matérielles de l’organisation (par exemple, le coût réel de l’accommodement demandé, la taille de l’organisation, sa structure organisationnelle, etc.) ;
- L’atteinte aux droits des autres individus (par exemple, les risques pour la santé et la sécurité, l’effet préjudiciable de l’accommodement pour les autres, etc.) ;
- Le bon fonctionnement de l’organisation (par exemple, l’adaptabilité des lieux ou de l’équipement, le nombre de personnes affectées, l’étendue de l’accommodement, etc.) ;
En ce qui concerne l’entrave indue au bon fonctionnement d’une organisation, la simple commodité administrative ne saurait faire échec à une demande d’accommodement9. Par exemple, dans un contexte propre à la copropriété, le Tribunal des droits de la personne a jugé que le changement d’emplacement de stationnement pour accommoder une personne souffrant d’obésité morbide était un accommodement raisonnable et qu’il ne posait pas de contrainte excessive au syndicat de copropriété10.
Cela mentionné, nous sommes d’avis qu’il serait faux de dire que la reconnaissance du droit à l’accommodement raisonnable en fonction de la langue ouvrirait la porte à la traduction dans toutes les langues de documents, car le critère de la contrainte excessive tiendra notamment compte, de la taille de la copropriété, du nombre de copropriétaires d’une autre langue, de la disponibilité de traducteurs et des coûts engendrés.
*Cet article ne constitue pas une opinion juridique.
Écrit par Me Léa Couture-Thériault , LL.B., J.D.
Contacter l’auteur : l.c-theriault@fisetlegal.com
1: Gosselin (Tuteur de) c. Procureur général du Québec, [2005] 1 R.C.S. 238.
2: Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bertrand et al., [2001] R.J.Q. 1684.
3: Par exemple, voir : 1096, 1097(1), 1098(2) et 1102 C.c.Q.
4: Tremblay c. Syndicat des copropriétaires le Saint-Claude, 2005 CanLII 6743 (QC CS).
5: Beachcomber Hot Tubs Inc. c. Lapointe, 2004 CanLII 4673 (QC CQ).
6: [1985] 2 R.C.S. 536.
7: Colombie-Britannique (Public Service Employees Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3, par. 54.
8: José WOEHRLING, « L’obligation d’accommodement raisonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse », (1998) 43 R.D. McGill 325, 347.
9: Daniel PROULX, La discrimination dans l’emploi. Les moyens de défense selon la Charte québécoise et la Loi canadienne sur les droits de la personne, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1993, p. 91.
10: Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Syndicat des copropriétaires «Les Condominiums Sainte-Marie», 2010 QCTDP 1 (CanLII).